Chronique

François Corneloup

Next

François Corneloup (bs, ss), Dominique Pifarély (vln), Dean Magraw (g), Chico Huff (elb), JT Bates (dm).

Label / Distribution : Nato

La vie d’un musicien comporte nécessairement des tournants, ne serait-ce que s’il souhaite exprimer d’autres idées et susciter l’intérêt des structures de diffusion, très soucieuses du renouvellement artistique des projets qu’elles présentent. Parmi les virages actuels les plus marquants de la scène française, on se doit de s’arrêter sur Next, la nouvelle formation de François Corneloup.

Le concept de ce quintet redouble d’intérêt au vu des musiciens qui le composent : trois sont issus de rencontres survenues au festival Minnesota sur Seine à Minneapolis (USA) : Dean Magraw à la guitare électrique, Chico Huff à la basse et JT Bates à la batterie. Il ne manquait plus que Dominique Pifarély (compagnon de route de Corneloup) pour compléter la touche électrique de cette formule. Pour ceux qui verraient là une rupture, Next est plutôt à prendre comme une réponse aux précédents groupes du saxophoniste, comme un aboutissement.

« Next Door » donne la sensation d’une véritable ouverture et éveille l’auditeur aux nouvelles intentions musicales de Corneloup : le partage d’une musique ajustée au plus près, en mettant de côté la complexité de l’écriture pour laisser place au jeu collectif. « Tinguelyness » met en avant l’indissociable tandem basse/batterie pour rappeler que le fondement principal est ici une rythmique très groove. [1]. Les improvisations décoiffantes de Pifarély sur « Cease Fire » et « Tinguelyness » le confirment : il possède toujours la maîtrise du violon électrifié.

Si cet univers nouveau provient d’Ursus Minor, auquel collabore le saxophoniste, la musique en est assez différente [2]. « Cease Fire » est introduit par de mystérieux bruissements - sortes d’arcs électriques tendus entre guitare et violon, source d’énergie inquantifiable. Une lointaine improvisation au soprano resurgit, annonciatrice d’un étonnant développement : un véritable essor, au bout de trois minutes, avec changement de tempo et nouvelle envolée - terrifiante - du violoniste. (Coup de chapeau au soutien très incisif et percutant de JT Bates.) Quant aux impros au soprano, elles démontrent bien à quel point Corneloup est aussi un virtuose de cet instrument, dont il explore tous les possibles. Par ailleurs, les ruptures de climat (souvent présentes dans l’écriture) renforcent l’intérêt du disque sur « Color Beginning », composition très calme qui aboutit après une longue évolution à un thème très rythmique.

Cette aventure transatlantique affirme qu’on est là face à un renouveau musical marquant, parfois proche du rock ou de la pop (« Iguana crossing »). Corneloup ose même rendre un hommage reposant à Barbara (« Seule »), façon de rappeler que cette musique est une histoire d’alternance de formes menée de façon très raisonnée, où les mélodies et le sens de la danse trouvent facilement place. « Homeless Hymn » prouve une fois de plus la volonté de placer la rythmique au premier plan. Celle-ci s’impose dès les premières notes par une ligne de basse répétitive au baryton pour, ensuite, servir rapidement de support à tout contexte d’improvisation - une idée directrice à la base de ce quintet à l’énergie explosive et ajustée aux propos de chacun en fonction des possibilités que renferment les thèmes. « French Walker at Wounded Knee » incarne de façon très synthétique l’incitation au décloisonnement des styles.

Cet album mûrement réfléchi, où le travail sur le son est impressionnant, complète la collection « Hope Street », qui maintient ainsi sa volonté d’offrir un nouvel espace d’échange dans le jazz.

Et pour ceux qui auront la chance de retrouver Next en concert, sachez que le résultat est aussi surprenant que le disque.

par Armel Bloch // Publié le 11 septembre 2008

[1Celle-ci évoque d’ailleurs par moments l’univers du projet Minneapolis de Michel Portal (également produit chez Nato par Jean Rochard)

[2ce qui ne l’empêche pas de reprendre le thème « Luz entre deux eaux » (déjà enregistré sur l’album Nucular) et réarrangé pour l’occasion