Chronique

Eric Legnini Trio

Trippin’

Eric Legnini (p), Franck Agulhon (dm), Mathias Allamane (b)

Label / Distribution : B Flat Recordings

Reculez les chaises et les tables, le nouveau Eric Legnini Trio est de retour.
Après Miss Soul et Big Boogaloo, Eric Legnini persiste à creuser le sillon de la soul-jazz parfumée au funk et au gospel. Voilà de quoi continuer à s’amuser.
Le pianiste ne change pas une équipe qui gagne et pour ce troisième opus, il est même revenu à la formule stricto sensu du trio. Pas d’invité cette fois-ci pour grossir le son : place à la simplicité et à l’efficacité des compositions groovy.

Si Legnini affirme son style depuis plusieurs années, on peut remarquer qu’il évite avec brio les redites. D’ailleurs, pour colorer différemment sa musique, c’est cette fois-ci derrière un Fender Rhodes qu’on le retrouve pour trois titres.
Une manière évidente de nous renvoyer encore plus clairement vers le son des années 60 qu’il revendique sans honte.
« Doo-Goo » se développe dans un style boogaloo, « Rock The Days », fait un clin d’œil au rock et à la pop, « Casa Bamako » s’enrobe de fragrances africaines et « Trippin’ » voyage sur la frontière du gospel et du Rythm’n Blues. Tout ça dans un bouillonnement d’énergie et de plaisir communicatif.

Dans le spectre des musiques qu’il affectionne particulièrement, Legnini n’oublie pas d’y inclure aussi « Con Alma », un thème de Dizzy Gillespie époque afro-cubaine, qu’il remodèle à la manière d’Ahmad Jamal. Autant dire qu’ici aussi, les rythmes décalés poussent aux déhanchements sensuels. La main gauche du pianiste fait merveille : elle s’insinue entre le drive sec et chaud du batteur et les échappées ondulantes du contrebassiste. La cohésion du trio est indéniable tout au long de l’album : ça joue tout le temps et ça s’amuse autant. Que ce soit sur des thèmes ultra-rapides, comme « Bullit Mustang Fastback » (en clin d’œil à Steve McQueen) ou sur un très incisif « Bleak Beauty », le trio fait bloc.
À tous moments, Franck Agulhon impose efficacement le tempo avec une rigueur étonnante et une souplesse pleine de fermeté. Matthias Allamane, quant à lui, saute à pieds joints dans le groove. Il allume, ranime et entretiens la flamme.

Bien sûr, le trio s’aménage également quelques plages plus tendres et mélancoliques avec les très sensibles « Jade » et « Introspection #1 ». Il s’autorise aussi quelques relectures magnifiques avec un doux « Darn That Dream », un étonnant « The Secret Life Of Plants », ainsi qu’un poignant « The Shadow Of Your Smile » dans lequel Matthias Allamane propose un solo magnifique, à mille lieues d’une version classique. La sincérité et la ferveur avec laquelle le trio joue n’a pour seul écho que l’extrême justesse.

Tripin’ est jubilatoire, il vous prend au corps et au cœur, vous emmène sans crier gare et vous fait oublier que vous étiez chez vous. Alors, deux possibilités s’offrent à vous : ranger les chaises et les tables… ou reprendre l’album depuis le début. On parie que vous choisirez la deuxième option ?