Chronique

Benoît Cazamayou

Caribou

Benoît Cazamayou : p, acc, voc.

Label / Distribution : Linoléum

Benoît Cazamayou est surtout connu pour être l’accordéoniste de La Friture Moderne, groupe – ou faudrait-il dire « creuset » ? toulousain - où ont grandi nombre de musiciens très intéressants : Marc Démereau, Piero Pépin, Fabien Duscombs, Pascal Portejoie, Sébastien Cirotteau, Matthieu Sourisseau… Linoléum publie son premier album solo et ce label, créé par des musiciens qui font de la musique et qui cherchent pour des musiciens qui font de la musique et qui cherchent, lui va mieux qu’un gant : comme un label.

Dix chansons sans paroles, ou dont les textes se réduisent à quelques bribes d’anglais ou de presque anglais. Dix morceaux de nulle part aux allures de rêve éveillé, de voyage au bout de rien, méditation d’un promeneur immobile. Bande-son d’un futur film foutraque, genre Alain Guiraudie peut-être.

Un thème récurrent, « Caribou », en trois déclinaisons : le caribou tout court, le grand puis le petit. Comme autant de véhicules. Rien à voir avec leur durée : 3 mn et quelques dans les trois cas. Plutôt, comme pour lesdits véhicules, en rapport avec la plus ou moins grande distance à l’ascèse. « Caribou » folk répétitif et pensif, « Grand Caribou » et ses arpèges de piano post-romantiques, « Little Caribou » et quelques notes : étouffées, en l’air ou juste posées là, comme oubliées.

Cinq « Vents » et non pas quatre, numérotés de 1 à 6, soufflent dans le désordre au milieu des Caribous. Il y flotte un pollen venu de chez Robert Wyatt, quelques poussières de John Cage, du sable du désert, un pétale envolé de Meredith Monk, un accordéon minimal. Les « Vents » pairs ont une voix, absente ou profonde - ou lointaine, c’est selon. Les impairs sont instrumentaux. Il manque le numéro 3.

« A Michel », au centre de l’album, est une sorte de berceuse à chagrin. Un son de piano étouffé, proche de la sanza, et ce balancement qui vous prend lorsque la peine vous casse en deux. Quand vous avez perdu, cent ans trop tôt, un ami, un frère musicien, tromboniste probablement.

« Happy Hand », morceau final, sifflote avec la triste gaîté d’une alouette en automne, le piano-sanza tourne en rond, la voix s’échappe vers le haut et se perd… Derrière, quelques minutes plus loin, un bonus. Le « Vent 3 » perdu, enfin retrouvé ?

Caribou est un album étonnant, très personnel. Poétique au sens propre : créateur de mondes. Une poésie griffée, meurtrie, tendre aussi, dont l’univers paraît suspendu. Sans attache, sans pesanteur. Toute d’émotion, intime, introvertie certes, mais si riche qu’on y passerait des heures. Le silence qui suit est encore de Cazamayou. Il serait surprenant que vous éjectiez le CD tout de suite, sans revenir au moins sur une plage, ou deux. Ou dix.