Chronique

Olivier Aude - Wilfried Wendling - Nicolas Senty

Ecritures du désastre

Olivier Aude (g), Wilfried Wendling (ord), Nicolas Senty (voc)

Label / Distribution : In Circum Girum

Cet Écritures du désastre, œuvre d’un trio pas vraiment trio, est un objet singulier. Il réunit deux musiciens (un guitariste – Olivier Aude – et un homme aux machines – Wilfried Wendling) et un comédien (Nicolas Senty) pour dix-neuf miniatures (« Contorsion » atteint le record de huit minutes) de forme libre. La guitare et l’électronique s’y conjuguent et forgent un écrin à la voix de Nicolas Senty, qui lit des fragments de textes de Maurice Blanchot (en grande majorité), Roland Barthes (une évocation de sa jeunesse tuberculeuse, « Sapientia »), Robert Antelme (« Savoir Auschwitz »), Sénèque (« Entraîne-toi à la mort »), Nietzsche. Un texte (« Contorsion ») est signé Nicolas Senty, un étrange récit qui louche vers le fantastique.

A l’origine, un spectacle autour de textes de Luc Boltanski sur la Shoah : Ce que disent les voix. Afin de préparer la mise en son du spectacle, les membres de ce trio ont mis en musique ensemble des textes courts ; de cette expérience préparatoire, jugée concluante, est né un projet de disque.

Les extraits sont présentés sous forme d’aphorisme, de sorte que (choix difficile !) soit privilégié le sens, la pensée plutôt que les sonorités. Senty lit, ne chante jamais. Cela rend leur beauté à ces textes souvent forts : De Kafka à Kafka de Blanchot dans « Folie contre folie », son texte « N’oubliez jamais » paru en revue, son très émouvant témoignage – qui est aussi un commentaire de haut vol – sur la lecture de Sein und Zeit de Heidegger, des fragments de L’écriture du désastre, des passages de L’espèce humaine d’Antelme, des Lettres à Lucilius de Sénèque. Pourtant, ce découpage ne laisse pas de surprendre : de tels textes doivent être entendus dans leur continuité, leur durée, leur patient développement pour prendre toute leur ampleur. C’est parfois le cas ; mais parfois aussi ils sont tronqués, fragmentés. Prenons en exemple cette citation de Blanchot : « Une découverte qu’on ressasse est aussi la découverte du ressassement » trop brève, elle réduit ici jusqu’à la caricature la capacité de l’écriture, chez cet auteur, à se retourner puissamment sur elle-même.

Par ailleurs ce disque offre un délicat travail d’orfèvrerie sonore : voix retraitées et superposées à l’octave pour de brèves polyphonies, guitares cristallines, espace sonore aéré. Si ces pièces sont données comme des improvisations, il est difficile d’y faire la part de l’écriture et la part de la spontanéité tant guitare et électronique s’imbriquent, notamment parce que la seconde s’approprie constamment de la première en même temps qu’elle fait entendre d’autres sons. Reste que les formes mises en jeu sont libres et ouvertes, dans un travail souvent proche de ce qui se produit à l’IRCAM ou au GRIM. Une œuvre curieuse et déroutante, très originale, lumineuse par endroits en ombrageuse en d’autres, et qui s’apprivoise par des écoutes répétées.