Chronique

Bernica Octet

Very Sensitive

François Jeanneau (ss, dir), René Dagognet (tp, b), François Cochet (tb), Denis Moog (g, oud), Pierre Boespflug (p), François Guell (as), Jean-Luc Déat (b), Christian Mariotto (dm)

Label / Distribution : Cristal Records

Bénéficiant de la direction et de la participation d’un François Jeanneau qui semble jubiler d’avoir relancé cet octet venu de Lorraine, Bernica délivre dans un album réjouissant un jazz organique, lorgnant tout autant vers une écriture de big band contemporain que vers une musique plus libre et spontanée.

A l’écoute de cet album, on imagine le plaisir que les musiciens ont pris à le construire tant la cohésion se découvre au détour des arrangements étincelants d’un François Jeanneau mélodiste, éclectique et facétieux, qui cherche toujours, au détour d’un accord, un chemin inexploré.

Bernica n’est d’ailleurs pas un titre anodin. Il désigne une ravine sur l’ile de la Réunion, terre de métissage et de révolte. Lieu sulfureux autant que luxuriant, le Bernica est difficile d’accès, tortueux, mais recèle une beauté inconnue à qui sait pénétrer le secret… C’est tout l’intérêt du poème de Leconte de Lisle, « poème barbare » et romantique qui révèle une des facettes de l’album : « un lieu sauvage au rêve hospitalier », où il faut monter par étapes, par raidillons successifs qui mènent à l’éden. Est-ce « Le Djoudj », ballade sur les récifs zappaïens période Waka/Jawaka, où le guitariste Denis Moog s’offre un solo virevoltant ? C’est en tout cas le moment fort de l’album…

Very Sensitive… le titre est adéquat : la musique, composée en majorité par Jeanneau, est effectivement sensible, à fleur de peau parfois, nerveuse souvent, ripant sur les cordes tendues du piano parcimonieux de Pierre Boespflug, par ailleurs auteur d’un morceau efficace, « GRP1 ».

L’octet s’appuie sur une base rythmique solide, dont Christian Mariotto, est le batteur gourmand, et Jean-Luc Déat le contrebassiste incisif. Le groupe construit une musique qui semble s’affranchir d’une direction unique pour partir sans boussole dans les directions que l’envie domine, frôle le rock en passant par la Méditerranée pour toujours en revenir à la joie simple de créer ensemble, de s’offrir de longues plages d’improvisations, qui ne sont pas l’apanage des soufflants.

Certes, François Guell [1], remarquable de sensibilité, donne le change à un Jeanneau dont les interventions sont toujours aussi tranchantes, sur les brisures d’un jazz débarrassé de toutes formes de contingences inutiles. La clé du propos est cependant dans les fausses pistes, ultime pied de nez d’un album joyeux. C’est Leconte de Lisle, du haut du Bernica, dans la suite du poème, non cité sur la pochette qui l’énonce par anticipation :

« Ce sont des chœurs soudains, des chansons infinies,
Un long gazouillement d’appels joyeux mêlé,
Ou des plaintes d’amour à des rires unies ;
Et si douces, pourtant, flottent ces harmonies,
Que le repos de l’air n’en est jamais troublé. »

par Franpi Barriaux // Publié le 27 avril 2009

[1que l’on a pu déjà entendre, comme pas mal de ses camarades, dans le collectif Emil 13.