Entretien

Eric Echampard

Le batteur compagnon de Ducret, Corneloup ou Boni évoque son parcours.

De formation classique, Eric Echampard s’est vite imposé comme l’un des batteurs les plus doués de sa génération. Remarqué aux côtés de Jacques Di Donato, il a atteint une belle maturité avec Marc Ducret, François Corneloup, ou encore Raymond Boni. Son style précis, rigoureux et extrêmement percussif font de lui un batteur pleinement original et admiré par ses pairs.

A tout juste trente ans, il revient sur son parcours et jette un regard lucide sur son métier et le milieu du jazz.

Roots

Je suis né à Bourg en Bresse, le 24 décembre 1970. Mon père a été guitariste de rock dans les années yéyé dans des groupes de copains, ensuite il a fait du bal, il en a très bien vécu, car dans les années 70 c’est quelque chose qui fonctionnait bien. Ensuite, il a été professeur de guitare privé à Bourg en Bresse et il a intégré le Conservatoire de Bourg où il enseignait les « Méthodes Actives ». Ma mère était institutrice. Il y avait beaucoup de musiques chez moi, beaucoup de chansons, de rock progressif, Yes avec Bill Bruford et Alan White, Genesis, Jimi Hendrix avec Mitch Mitchell, des choses que je réécoute beaucoup maintenant, puisque les gens avec lesquels je joue ont facilement dix à quinze ans de plus que moi et ont vraiment connu cette période, s’en inspirent et y sont très attachés - Bruno Chevillon, Marc Ducret, par exemple.

Les débuts à la batterie

J’ai commencé à 7 ans. Déjà tout petit, j’avais des envies de batterie : je tapais sur des boîtes de biscuit, sur le canapé, sur des barils de lessive, mon père m’avait ramené des baguettes du bal et c’était plus ça qui m’attirait que la guitare. Mon père a donc voulu que je prenne très vite des cours avec un copain batteur, Pierre Guyon, qui a été un excellent professeur, très patient et très attentif. L’enseignement se faisait de manière traditionnelle avec la méthode Agostini (rock, jazz, variété) et j’ai appris par la même occasion à lire la musique.

Quand mon père est rentré au conservatoire, une classe de percussion classique s’est ouverte, et je l’ai intégrée vers onze ans. Je continuais à pratiquer la batterie de mon côté avec des élèves de mon père. Je me souviens de quelqu’un qui m’attirait beaucoup dans cette voie-là,Pascal Vignon qui jouait avec le Big Band d’Oyonnax. J’allais le voir très souvent quand j’avais 14/15 ans, et j’ai tenu à avoir la même batterie que lui ! Dans mes grands chocs de l’époque, il y a eu Michel Jonasz puisque c’était la première fois que je voyais Manu Katché sur scène, la période où il explosait avec un jeu très particulier et significatif dans la variété.

L’enseignement classique

J’ai donc continué au conservatoire de Bourg jusqu’à ma médaille, et j’ai attaqué les Conservatoires Régionaux de Lyon, avec Alain Londex et de Clermont-Ferrand, chez Claude Giot. Puis le CNSM de Lyon où j’ai eu comme professeurs François Dupin, qui était à l’orchestre de Paris, qui nous enseignait la musique symphonique classique, ainsi que Georges Van Gucth, fondateur des Percussions de Strasbourg et Christian Hamouy qui nous ont fait travailler beaucoup de créations de la musique contemporaine, comme Xenakis, Aperghis. J’en suis sorti diplômé avec un premier prix de percussions en 1995.

La première année, j’ai eu une période de doute sur le style que je pourrai choisir plus tard. Je me disais que si je rentrais dans une bonne école, ça voulait peut-être dire que je pourrais avoir un poste de timbalier plus tard dans un orchestre symphonique. Mais pendant le conservatoire, je me suis rendu compte que ce n’était pas si évident de se retrouver timbalier, qu’il y avait des gens qui étaient sûrement plus motivés que moi, peut-être plus doués aussi pour tenir ce poste.

J’avais toujours ce lien très fort à la batterie, et je m’y sentais beaucoup moins désavantagé, j’avais commencé plus tôt et j’avais donc certaines facilités sur cet instrument. Et, alors que j’étais encore au conservatoire, j’ai rencontré Jacques Di Donato.

Jacques Di Donato, Système Friche

Il m’avait vu jouer pendant un stage qu’il avait organisé en 92/93 avec des musiciens de jazz, François Jeanneau, François Méchali, François Verly, Xavier Charles qui était son élève. On avait joué le répertoire de l’ONJ 86 et, m’ayant vu, il m’a proposé de rejoindre son quintette. Dans ce quintette il y avait Claude Tchamitchian, Philippe Deschepper et Xavier Charles.

On s’est retrouvé rapidement sur des scènes, dans des lieux importants ; j’ai eu la chance grâce à lui de gagner ma vie très vite tout de suite après la sortie du conservatoire.

On a enregistré « Clic » en 1993 à Nancy après quelques concerts. C’est donc le premier disque distribué sur lequel j’apparaîs. On a ensuite enchaîné avec Système Friche, le « grand orchestre délirant » qui reprenait tous les membres du quintette avec en plus divers musiciens comme Frédéric Le Jünter aux instruments fabriqués, Raphael Thierry qui jouait la cornemuse du Morvans etc. C’était un orchestre très éclectique aussi bien au niveau des instruments qu’au niveau des personnalités, un assemblage de matière, de son, une expérience très amusante. Il n’y avait pas d’arrangements parce que ce n’était pas la volonté de l’orchestre, mais il y avait des thématiques, des chansons. On terminait d’ailleurs les concerts par une bourrée du Morvan ! L’aventure a duré deux ans, on a fait une quinzaine de concerts, ce qui n’est pas mal pour un orchestre de cette dimension.

C’est à cette époque que j’ai commencé à faire des remplacements avec Philippe Maté, François Méchalier. J’ai aussi eu la chance de faire deux concerts avec un guitariste que j’aimais bien, Lionel Benhamou, qui avait joué dans l’ONJ de Denis Badault [puis dans celui de Laurent Cugny - NDLR] et qui est malheureusement décédé. Je jouais aussi dans la région de Nancy avec des gens comme Pierre Boespflug ou Jean Michel Albertucci.

Les deux trios : l’un avec François Corneloup et Claude Tchamitchian, l’autre avec Marc Ducret et Bruno Chevillon.

François [Corneloup], je le connaissais de vue, je savais qu’il était très lié à la Compagnie Lubat, je l’avais d’ailleurs vu à Uzeste et lui m’avait entendu dans Système Friche et avait envie de monter une formation avec moi. Quant à Marc [Ducret], on avait fait un concert ensemble justement avec le trio de François au festival de Perpignan, je connaissais sa célébrité dans ce monde-là et quand Bruno m’a annoncé qu’il voulait monter ce groupe, ça m’a vraiment fait briller les yeux.

Le trio de François s’est formé en 1996. On a eu très rapidement un premier concert le 2 août 1996 au forum des percussions en Auvergne. C’est un trio qui a beaucoup joué, qui a eu beaucoup de succès, c’est une chance et on a tous énormément avancé avec ce groupe-là. On a eu beaucoup de discussions, des remises en questions fréquentes, puisque François est de l’école Uzeste, ce qui est très intéressant, car il est toujours prêt à débattre de plein de choses. C’est parfois un peu enivrant… mais c’est une belle ivresse ! C’est une aventure que François a décidé d’arrêter, Il souhaite passer aujourd’hui à quelque chose de différent. Il monte donc un quartette avec Marc Ducret, Yves Robert et moi-même car il a envie de se retrouver à la place du bassiste avec le saxophone baryton.

Le trio de Marc lui s’est formé peu de temps après celui de François, mais on a vraiment commencé à jouer ensemble un an après. Marc a écrit de nouvelles compositions pour le trio, il écrit très souvent de la musique qu’il aime adapter aux divers formations avec lesquelles il joue, il pense la musique en fonction de ça. Le trio continue donc, et Marc ne faisant jamais deux disques avec la même formation, il vient juste de me prévenir de son souhait d’adjoindre deux cuivres pour la rentrée prochaine, Herb Robertson à la trompette et Michel Masseau au tuba.

Sur mon rôle dans les deux trios, je dirais que le couple basse/batterie a un rôle plus « classique » avec Marc, dans le sens où on est peut-être plus une rythmique « au service » d’un soliste, la musique fonctionne très bien comme ça.

Chez François, il y a plus une recherche de partage des rôles, où François par moment prenait la basse, Claude se retrouvait réellement soliste et à l’inverse où François et Claude étaient le tapis et où j’étais mis « en valeur ».

Cela dit, les deux leaders comprennent très bien la batterie, ils sont très attentifs au rythme, à la gestuelle aussi, même si Marc n’écrit rien de spécifique pour la batterie, au contraire de François qui aime synthétiser un rythme sur partition avec une basse et un chant.

Enfin pour ce qui est des disques, comme c’est une musique dite d’improvisation et qu’elle est différente à chaque concert, coller une image définitive à un moment donné peut être un souci, en même temps c’est aussi de l’ordre du « marché », dans le sens où on a besoin d’enregistrement et de « photographies », pour que certains organisateurs entendent ce que l’on donne ensemble par exemple. Mais ce qui nous intéresse avant tout c’est la scène, c’est évident.

Louis Sclavis, Bernard Struber

J’ai joué de nombreuses fois avec Louis Sclavis en remplaçant François Merville dans son trio avec Bruno Chevillon et j’ai fait deux disques avec lui, deux disques qui sont un peu à part dans sa discographie : « Danses et Autres Scènes », réunion de dix ans de musique consacrée au théâtre, à la danse et au court métrage et « Le Phare » à l’initiative de Bernard Struber.

Je suis dans l’orchestre de Bernard depuis 1992, c’est un ensemble qui me tient particulièrement à cœur, pour lequel Bernard travaille ardemment, écrit énormément de musique, est ouvert à beaucoup de choses. C’est quelqu’un de très important pour moi, parce que j’ai le sentiment d’avoir joué plein de choses très différentes grâce à lui. Bernard a donc invité Louis dans son orchestre et ce dernier s’est beaucoup investi dans le projet, comme à chaque fois. Pour l’instant je ne joue pas régulièrement avec Louis, mais c’est quelqu’un de très important sur la scène actuelle et qui est très agréable à fréquenter !

La Batterie

Il y a sûrement des héritages multiples dans ma façon de jouer, puisque j’aime beaucoup de choses différentes, sûrement que tout se mélange. Je ne suis pas non plus toujours très conscient d’où ça vient, ni pourquoi ni comment.

Les gens qui m’ont marqué vont de Michael Bland, Billy Cobham, Sheila E. à Daniel Humair, Kenny Clark, Mitch Mitchell, jusqu’à des percussionnistes classiques comme Jean Geoffroy qui m’impressionne beaucoup, Gualda, les percussions de Strasbourg, tant d’autres…

L’enseignement classique m’a apporté un plus dans la pratique de l’improvisation et justement chez les musiciens avec lesquels je travaille il n y a pas ce souci de créer une frontière entre l’écrit, l’improvisé, un côté qui serait libre, un côté qui ne serait pas libre, c’est bien plus subtil que ça.<

Le jazz…

Je ne sais pas ce que c’est le jazz. Ce n’est pas un mot très important pour moi, des mots comme son, musique, sont plus significatifs pour moi. Chacun attribue ce mot à des origines, à une manière de faire particulière. Si être musicien de jazz, c’est être né d’une mère chantant de blues dans un club à la New Orleans ou d’un père noir américain, je ne suis pas musicien de jazz. Mais en même temps cette musique m’intéresse, ce que je fais est sûrement issu de ce courant-là, mais c’est alimenté par plein d’autres choses. J’aime bien le swing, le ternaire, mais j’en pratique moins. Histoire de choix, mais de rencontres aussi.

On est souvent pas très au courant de ce qui se fait en dehors de chez nous malheureusement. Quand tu voyages un petit peu, tu t’aperçois qu’il y a plein de gens qui font des choses nécessaires dans chaque pays.

Les projets

Les groupes dont je fais partie, l’ensemble de Bernard Struber, le quartette de François Corneloup, le trio de Marc Ducret, un trio avec François Raulin et Jean-Jacques Avenel qui sera créé à Parthenay en juillet.

Je n’ai pas précisément de projet en leader, je n’ai pas envie de mettre la charrue avant les bœufs, ça ne fait si longtemps que j’ai commencé.

J’ai écrit une pièce pour trois batteurs qui sera jouée dans les Yvelines en juin, ils viennent juste de commencer à la travailler. C’est pour l’instant la première chose que j’ai réellement écrite et couchée sur papier.

Discographie :

1993 :Jacques Di Donato Quintet : Clic ! ! ! – Pan Music
1996 : Jacques Di Donato/ Xavier Charles : Système Friche – In Situ
1997 : François Corneloup Trio : Jardins Ouvriers – Evidence
1998 : Louis Sclavis & Bernard Struber Jazztet : Le Phare – ENJA
1998 : Grand Lousadzak : Bassma Suite - Evidence
1998 : Marc Ducret Trio : L’Ombra di Verdi – Screwgun Records
1999 : François Corneloup Trio : Cadran Lunaire – Evidence
1999 : Louis Sclavis : Danses et Autres Scènes – Label Bleu
1999 : Raymond Boni/Eric Echampard : Two Angels For Cecil - Emouvance