Chronique

A. Ceccarelli & Friends

Le Coq et la Pendule

André Ceccarelli (d), Diego Imbert (b), Pierre-Alain Goualch (p), David Linx (voc)

Label / Distribution : Plus Loin Music / Abeille Musique

Un hommage à Nougaro, il faut être sacrément gonflé ne serait-ce que pour y songer tant ce génial chanteur, exceptionnel troubadour qui aurait eu quatre-vingts ans en septembre, a marqué la chanson française de ces quarante dernières années. « Artisan » de la variété, avec sa truculence et son phrasé impayable, détachant et projetant ses syllabes - vivantes comme des éclats - rimailleur inspiré, jongleur des rythmes, fou de jazz mais nourri au bel canto, proche de la java et de toutes les musiques populaires… cet auto-proclamé « motsicien » savait swinguer, lui - comme nul autre. Un héritier de Trenet, à sa manière. Tous ses titres sont devenus des tubes au fil des ans et les « puristes », les puritains du jazz, ne se risquent plus guère à faire la fine bouche.

Je me souviens du 45 tours Philips de la discothèque familiale : Nougaro à son bureau, clope au bec, dessine un portrait de femme : il chante « Une petite fille », « Le cinéma », « Le Jazz et la java » (d’après un thème de Haydn), « Les Don Juan » (de Michel Legrand)… autant de petites histoires rondement menées, éclaboussées d’action et de swing. Il est toujours dans le tempo quand il titube comme un taureau ivre sur l’arène du music-hall, au théâtre Toursky, à Marseille, antre de Richard Martin dont l’idole est Ferré.

Bien plus tard, en 1980, sur le 33-tours ASSEZ, apparaît « Le coq et la pendule ». Un coup d’œil aux musiciens qui l’accompagnent vaut mieux que toutes les déclarations : de vrais jazzmen, Luigi Trussardi à la basse, Charles Bellonzi à la batterie, le formidable pianiste et compositeur Maurice Vander et Richard Galliano alors au… trombone, et compositeur des « Voiliers », un de ses merveilleux tangos, déjà, qu’ici il accompagne divinement à l’accordéon électronique.

Reprendre quelques-uns des grands succès de Nougaro était donc délicat, mais le batteur André Ceccarelli était un des mieux placés pour relever le défi : au cours de sa longue carrière, en effet, « Dédé » a connu les mêmes scènes que Nougaro. Il l’a d’ailleurs accompagné puisqu’il a mené une double carrière de « requin de studio » et accompagné les grands du « show biz » tout en restant fondamentalement attaché au jazz… ce que nous rappelle le DVD joint à l’album, à l’occasion d’un « Drum Summit » à Toulouse.

Ceccarelli s’est entouré de musiciens qui savent recréer avec talent, simplicité et finesse l’univers du poète toulousain. Le contrebassiste Diego Imbert, qui a aussi masterisé le disque, est le second as de cette paire rythmique (écoutez-le dès l’ouverture sur « Le Coq et la Pendule » ou sur « L’île Hélène » dernier titre de l’album et véritable bijou). On se réjouit de retrouver le pianiste Pierre-Alain Goualch dont on connaît l’amour de la (belle) chanson française (on se souvient de ses ré-interprétations de Gainsbourg). Sincère, juste, sensible et fringant, il est parfait. Il a tout compris à cette musique, qu’il joue avec enthousiasme en nous promenant sur toute la gamme des sentiments, de l’émoi à la connivence, de l’embrasement à la tendresse : « Cécile », « Je suis sous », « La pluie fait des claquettes », la version (vraiment) jazz de « Nougayork », comptent parmi les réussites de l’album.

C’est le choix de l’interprète qui restait le plus délicat. Si j’aime et suis David Linx depuis longtemps, il me semblait très éloigné de l’univers de Nougaro. Pourtant ce choix s’avère être le bon : le chanteur ne met jamais ses pas dans ceux du « maître » - preuve de son intelligence musicale car certaines chansons sont impossibles à recréer après lui. Comment choisir, dans ce vaste répertoire, sans tomber dans le piège ? Linx reprend certaines chansons incontournables (« Dansez sur moi », « Une petite fille en pleurs »), sobrement et à sa manière, en déplaçant certaines intonations. Mais on préfère « Tendre » et on applaudit « Mademoiselle Maman », « The Meeting Place of Waters », qu’il a réussi à s’approprier, tout comme l’émouvant « Il faut tourner la page ». C’était pourtant une de mes chansons préférées de Nougayork qui marquait, après une traversée du désert, le retour en grâce de Nougaro, en 1989, et le consacrait définitivement auprès des jeunes par sa rythmique funky.

Paradoxalement, c’est quand il fait oublier Nougaro que Linx s’en tire le mieux : les paroles semblent alors écrites pour ou par lui. C’est cela comprendre et savoir « reprendre » une chanson. Sa belle voix sensuelle, quatrième instrument du groupe, est tendre et posée ; parfaitement placée, elle évite le lyrisme, la verve et la frénésie, qui ne « passeraient pas » après l’original. L’hommage sonne juste grâce à cette humilité. Un hommage sans emphase ni nostalgie, rendu par des musiciens de jazz à un poète qui le connaissait bien.

Et puis avec David Linx, Nord et Sud sont enfin réunis, la Flandre rejoint la Gascogne et Nougaro garde la « ville rose » qui fut pourtant, disait-il, surtout « rosse » avec lui…