Chronique

Aki Takase Japanic

Forte

Aki Takase (p), Daniel Erdmann (ts, ss), Carlos Bica (b), Dag Magnus Narvesen (d, perc), Vincent von Schlippenbach (turntable)

Label / Distribution : BMC Records

La musique coule rapidement et de temps à autre se cristallise, les angles vifs qui émanent de Forte ne laissent guère de répit. Pourquoi perdre du temps ? Les strates sonores dont se délecte Aki Takase prennent corps par des mouvements instables dans « Fiesta Magdalena » enjolivé par des passages vocaux transformés allègrement par Vincent von Schlippenbach, digne successeur de son père Alex. Nils Wogram y développe un jeu sémillant au trombone, son timbre apporte un contraste saisissant au sein de l’architecture sonore. Cinq années ont passé depuis la première mouture de Japanic qui avait donné naissance à Thema Prima. Seul changement notoire : Johannes Fink a cédé sa place à Carlos Bica.

La batterie énonce des secousses telluriques en cascades, les cymbales lézardent les climats impressionnistes, le Norvégien Dag Magnus Narvesen délaisse ici son octet DAMANA afin de partager ses trouvailles. Sur la totalité de l’album, il passe d’un jeu dynamique en binaire à une locution riche en textures maximalistes. Son assise rythmique fait corps avec les circonvolutions de la pianiste. L’expérience musicale vécue par Aki Takase avec Alex von Schlippenbach - son époux -, Fred Frith, Han Bennink, Eugene Chadbourne et de nombreux autres sculpteurs de sons, résonne durant l’interprétation de « Ma Non Troppo ». L’héritage du free jazz se fait certes ressentir, mais l’écriture pertinente permet un développement musical vivifiant, les expériences conjointes vécues sur scène en DJ par Vincent von Schlippenbach donnent l’occasion à la musique de s’affranchir d’un cadre anticipé.

Une ambiance festive et cuivrée traverse les idiomes vocaux passés à la moulinette dans « Step Skip Stop », la vélocité et les sinuosités instrumentales y font bon ménage. Avec « An jeder Kreuzung liegt eine Erinnerung begraben », écrit par Daniel Erdmann, c’est une relecture originale de plusieurs paysages musicaux qui brouille un peu plus les pistes auditives. L’ode à l’électronique se perpétue dans « Timeless Story » et « Japanic Makrokosmos », pièces où l’imagination se mêle à des recherches inusitées tandis que Carlos Bica soutient l’édifice sonore.

Afin de mieux nous perdre et nous surprendre à la fois, Aki Takase termine ce séduisant album par un standard du tout début des années trente, « I’m Confessin’ (That I Love You) », de Chris Smith, que Fats Waller et Django Reinhardt ont popularisé. Cette succulente pièce jouée en duo piano et trombone apporte une saveur particulière et témoigne de l’intérêt d’Aki Takase pour l’aspect mémoriel du jazz.