Chronique

Alcyona Mick & Tori Freestone

Criss Cross

Alcyona Mick (p), Tori Freestone (ts, ss), Brigitte Beraha (voc, guest)

Label / Distribution : Whirlwind

Les clichés ont la vie dure, et il est de bon ton d’affirmer que la scène britannique du jazz a une alternative : soit vivre sur son glorieux passé improvisé, soit se fourvoyer dans des avatars pop outrageusement colorés, clinquants et trop sucrés, à l’instar des gâteaux anglais ; quitte à utiliser des poncifs, autant les enfiler en collier. Il suffit de suivre les productions du label Whirlwind pour facilement les battre en brèche, à tel point qu’on rêverait qu’ils ouvrent une pâtisserie. Mais pour le moment, ils se concentrent sur la présentation d’un duo qui réunit la saxophoniste Tori Freestone et la pianiste Alcyona Mick. On ne saurait les en blâmer : inscrit dans la tradition du duo anche/piano qui ne demande qu’à être bousculée, leur album Criss Cross est une douceur tout à fait équilibrée. Oui, Criss Cross, comme un disque de Monk mais sans le trait d’union, ni un gramme de Sphere dans les compositions originales qui plairont aux cruciverbistes [1]. A peine une fragrance, un esprit qui tanne la synergie des musiciennes. Et puis bien sûr « Criss-Cross », joué dans une version que n’auraient pas reniée Lacy et Tchangodei.

Il en va de même pour « Mrs P.C. » que Freestone aborde avec beaucoup d’ardeur pendant que Mick l’embrasse d’une main gauche ferme mais très mobile. Il y a chez la pianiste une puissance qui n’entame pas une grande agilité. Même lorsque le propos s’emballe et que la ligne de piano se fait plus rapide et tendue, elle ne se départit pas d’une douceur qui témoigne de son lâcher-prise. Une qualité qu’elle avait déjà pu développer au sein du Loop Collective il y a quelques années, notamment avec Robin Fincker qu’elle retrouvait alors dans un trio que complétait Paul Clarvis à la batterie. Dans un morceau plus doux comme « Charmed Life », cette délicatesse naturelle prend le dessus et permet d’exposer la puissance saillante de Tori Freestone, qu’on a déjà pu apprécier dans le musculeux quartet Compassionate Dictatorship.

Il existe une alchimie rare entre les improvisatrices, une véritable synergie qui permet de passer sans transition mais en cohérence de « Good Night Computer », petite musique de nuit bleutée, à un voyage dans le temps qui nous fait presque atterrir sur la lande de l’Angleterre pré-victorienne avec « Press Gang  » où le duo devenu lyrique et mystérieux invite la chanteuse Brigitte Beraha pour une chanson folk qui traverse le temps sans se froisser. Criss Cross est une belle découverte qui donne irrépressiblement envie d’aller se documenter davantage sur la discographie de chacune. Soyons sûrs qu’il y a de formidable découvertes à y faire !

par Franpi Barriaux // Publié le 8 juillet 2018
P.-S. :

[1Les titres sont disposés sur une grille, avec leur définition en face.