Entretien

Andrés Coll, le marimba d’Ibiza

Rencontre avec un talent émergent du jazz espagnol.

Andrés Coll © Carlos B.

C’est un grand plaisir de discuter avec l’une des étoiles montantes du jazz espagnol, Andrés Coll. À travers sa musique, ses projets et son talent, il incarne l’innovation et la surprise. Mais il n’y a pas que sa musicalité qui brille : son humilité, sa gentillesse et son ouverture à de nouveaux horizons le distinguent également. Au cours de cet entretien, il aborde de nombreux sujets : ses projets, ses influences, son approche de l’instrument, sa méthode de composition et bien plus encore.

Andrés Coll © Carlos B.
  • Permettez-moi de vous présenter à tous ceux qui ne vous connaissent pas. Vous êtes Andrés Coll, né à Ibiza, en Espagne, et vous avez 24 ans. Vous avez collaboré avec de grands artistes comme Joachim Kühn et sorti différents projets comme Andrés Coll Odyssey qui présente le récent disque, Sunbird.
    Vous avez également collaboré avec le projet Ibiza Sun Band et vous êtes également engagé dans un projet avec des artistes cubains - Carlos Sarduy, Ladrón de Guevara… - qui s’appelle Café Dakar.
    Votre musique intègre le folk de votre pays d’origine avec du jazz et d’autres musiques, de la musique du monde… Il s’agit sûrement d’une sorte de musique expérimentale. Comment allez-vous en ce moment ?

Je vais très bien. J’ai recommencé à m’entraîner beaucoup. Hier soir, j’ai pratiqué jusqu’à trois heures du matin. Ces derniers jours ont été comme ça. L’été, ici à Ibiza, on est très occupé, donc on n’a pas beaucoup de temps pour s’entraîner. Maintenant que l’été se termine lentement, j’ai plus de temps pour m’entraîner. Et faire beaucoup de choses.
J’ai une résidence hebdomadaire avec Martin Meléndez, un violoncelliste qui a joué avec le trio de Marco Mezquida. Il est à Formentera en ce moment. Et il y a quelques concerts avec Café Dakar et Carlos Sarduy. Il se passe des choses, mais pour l’instant, je veux m’entraîner.

  • Comment êtes-vous arrivé à la musique et comment avez-vous évolué au cours de votre jeune carrière ?

Il y avait déjà un piano dans ma maison à ma naissance, parce que ma sœur aînée jouait du piano et du saxophone, et j’avais l’habitude de taper dessus quand j’avais trois ans. Je composais peut-être une petite mélodie, je ne sais pas, mais je tapais simplement dessus. Puis, à l’âge de sept ans, j’ai été inscrit à l’école de musique locale. C’est là que j’ai commencé les percussions classiques - la batterie, le marimba, toutes sortes de percussions. Et j’ai commencé à jouer dans les groupes, dans les orchestres. Cela vient de l’école.

Andrés Coll
  • Que pensez-vous de votre évolution en tant que musicien ?

J’ai été à l’école de musique pendant 8, 9 ou 10 ans et dans l’orchestre symphonique pendant 10 ans. Un orchestre et un groupe forment une très bonne base pour connaître sur la musique, sur la culture musicale. On y apprend à connaître beaucoup de musique involontairement, pas parce qu’on veut la connaître, mais parce qu’on doit la jouer ! Et c’est ce que j’ai fait pendant ces dix années. Et je me suis toujours « adapté » aux partitions, j’ai improvisé un peu quand j’étais dans l’orchestre. Improviser sur Beethoven n’est pas si facile, mais avec l’orchestre on jouait des choses faciles sur lesquelles on pouvait improviser.
Quand j’ai rencontré Joachim Kühn [1] j’avais 10 ans, je poussais, je poussais, il fallait que ça explose, vous savez. Parce qu’il y avait beaucoup d’énergie qui s’était concentrée. Et quand je l’ai rencontré, tout a explosé.
Nous avons joué. Je jouais de la batterie puis du marimba. C’était… je n’avais jamais joué de free jazz de ma vie auparavant ou de vraie musique, de vrai jazz. Et à partir de ces sessions, les premières… ça a explosé. Et il y avait beaucoup de créativité, il y avait de la magie !

  • Quelles sont vos grandes influences en ce qui concerne votre instrument et votre concept musical ?

Pour les instruments, je pense que l’un des musiciens que j’aime le plus écouter et que je trouve génial, c’est Bobby Hutcherson. Au vibraphone et au marimba, son approche de l’émotion sur l’instrument et la clarté des notes qu’il frappe, c’est comme une balle.
Et pour ce qui est de mes inspirations, je dirais Pharoah Sanders, pour l’émotion, la liberté, la puissance. C’est une chose que j’admire vraiment quand je joue du marimba, cette puissance du saxophone. Je mets un peu d’overdrive dans mon marimba pour l’obtenir, ce n’est pas vraiment gênant mais ça donne un peu plus de punch. Il y a aussi McCoy Tyner, pour la puissance, l’énergie. Je pense que chez les artistes que j’aime, j’aime la puissance et l’énergie. J’aime aussi Carlos Santana, parce qu’étant enfant, j’écoutais beaucoup Santana dans la voiture de mon père qui avait ses disques et c’est resté gravé dans ma mémoire.

  • On ne peut pas se tromper avec ces influences. Que pensez-vous des jeunes joueurs de vibraphone comme Joel Ross, Lewis Wright, Simon Moullier. Les connaissez-vous ?

Je connais Joel Ross. Il était ici à Ibiza, et nous avons fait une sorte de master classe. Nous avons juste parlé et il m’a donné quelques conseils. Ça m’a vraiment aidé parce que je commençais sérieusement à jouer du vibraphone. J’ai appris à connaître les concepts de base.
Quand j’ai commencé, Joel Ross a été pour moi une source d’inspiration. Ce type a réussi avec le vibraphone, avec cette musique, alors pourquoi pas moi ? Cela vous donne de l’espoir ; c’est un ami sympathique. Je l’aime bien.
Je suis heureux de représenter cette génération et d’être, peut-être un jour, une source d’inspiration pour quelqu’un qui est jeune et qui a besoin de commencer…

Andrés Coll
  • De quel instrument jouez-vous le plus, le marimba ou le vibraphone ? Quelles sont leurs différences selon vous ?

Je joue quasiment exclusivement du marimba plutôt que du vibraphone.
Le vibraphone est plus un instrument de jazz, plus enraciné dans le jazz. Le marimba peut s’adapter plutôt à la musique du monde, mais aussi au jazz. C’est ce que je fais.
De plus, comme je joue à quatre mailloches - le marimba a une sonorité plus douce - j’obtiens une meilleure sonorité. Lorsque vous jouez du vibraphone à quatre mailloches, vous devez vraiment savoir ce que vous faites, parce qu’avec toutes ces voix, la texture peut devenir très pâteuse… Le marimba est la bonne solution parce que les voix sont tuées, en quelque sorte, en quelques secondes, il n’y a pas de résonance. Le marimba est l’instrument qui correspond à mon type de jeu, à ma musique et à ma vision de la musique. Je pense aussi qu’en jouant une version électrique de l’instrument, qui est MIDI et très différente de la version acoustique, j’ai dû trouver une nouvelle façon de jouer.

  • Quelle est votre routine maintenant que vous avez plus de temps et d’espace pour vous entraîner seul ?

Il y a quelques semaines, j’ai repris la batterie, juste pour jouer un peu, je ne suis pas un batteur. Mais je joue, juste pour le plaisir, la musique que j’aime. Et c’est bon pour le rythme. Je joue aussi du piano.
Pour le marimba, j’ai une sorte d’ordre. Je fais de la technique avec un très bon livre, le Thesaurus of Scales and Patterns de Slonimsky.
John Coltrane, Frank Zappa et Joachim Kühn l’ont utilisé et ce dernier me l’a recommandé. Je joue des gammes et des motifs de toutes sortes de façons, des deux mains, d’une seule main, de la main gauche, en alternant avec les mailloches, en jouant avec des accords. Il s’agit aussi d’harmoniser les gammes, de toutes sortes. Et puis je joue aussi. Je fais une page puis je continue avec du classique. Je joue « Microcosmos » de Bartók en ce moment.
Bartok a été une grande source d’inspiration pour moi, car il s’est plongé dans le folklore hongrois et roumain, et moi, j’aime le folklore d’Ibiza. J’aime m’inspirer du classique.
Et puis, ce que je fais aussi, c’est jouer par-dessus un enregistrement de concert, un par jour. Un concert de John Coltrane, de Pharoah Sanders ou des Doors, de Santana… Vous jouez tout le set, concentré comme un concert, c’est un très bon exercice. Et il y a de nouvelles idées à chaque fois.

Andrés Coll
  • Est-ce que vous avez le temps de composer ?

J’aime composer. C’est très important et je pense qu’il faut trouver le temps de composer au moins un morceau par jour. C’est quelque chose que j’ai appris de Joachim ! Il peut s’agir d’une petite mélodie, seulement huit mesures, quatre mesures, dix… enfin ce que vous voulez. Et s’il s’agit de votre vie, de votre expérience, de vos affaires, c’est mieux. Cela ne doit pas être forcé.

  • Quel est le but derrière votre musique ?

Avec ma musique, je veux inspirer les gens à faire ce qu’ils aiment le plus. Les gens qui assistent aux concerts sont très inspirés par mes chansons. La musique n’est pas très compliquée. Elle est enracinée dans les musiques traditionnelles d’Ibiza, du Maroc… Vous pouvez raconter des expériences humaines dans l’instrument. Jouer la vie.

  • Diriez-vous que le fait de jouer en direct est une chose qui donne une meilleure image de votre musique que le processus d’enregistrement en studio ?

Je n’ai vraiment enregistré qu’une seule fois en studio, l’album de Baldo Martínez, à Madrid. Et ça m’a vraiment fait changer d’avis sur la façon dont je voyais le studio et sur la façon d’enregistrer un album. Je pense qu’il faut être détendu, ne pas avoir à bouger. Il suffit de jouer de la musique pour que les gens l’écoutent dans le CD.
Les concerts en direct peuvent être intéressants parce que l’instrument dont je joue est très visuel et je bouge beaucoup pendant les concerts, j’interagis beaucoup avec les musiciens. Avec mon groupe Odyssey, je crie, je fais des signaux, c’est très actif et visuel. C’est très différent.

Entretien réalisé par José Cabello, pour le magazine espagnol In&Out Jazz. Édité par la rédaction.

par // Publié le 15 décembre 2024
P.-S. :

[1Le pianiste allemand habite l’île depuis des décennies.