Chronique

Anna Webber

Clockwise

Anna Webber (ts, fl), Jeremy Viner (ts, cl) Jacob Garchik (tb), Christopher Hoffman (cello), Matt Mitchell (p), Chris Tordini (b), Ches Smith (dms, vib, perc)

Repérée en Europe aux côtés de John Hollenbeck et de Harris Eisenstadt, la jeune multianchiste Anna Webber est l’une des sensations à venir de la scène new-yorkaise où elle s’est installée. Non qu’il s’agisse d’une inconnue : Percussive Mechanics paru en 2013 chez Pirouet avait déjà fait sensation. Mais la maîtrise de Clockwise est de nature à marquer durablement les esprits. D’abord parce que la flûtiste (qui ne dédaigne pas d’emboucher un saxophone ténor) propose une musique où l’écriture très précise laisse beaucoup de place à la liberté du septet. Ainsi, « Idiom II », qui s’ouvre sur une belle alchimie de soufflants entre Webber et Jeremy Viner ponctuée par l’insatiable trombone de Jacob Garchik, forme une pâte orchestrale des plus fines que façonne à l’envi une base rythmique protéiforme. Aux côtés du très musical percussionniste Ches Smith, le contrebassiste Chris Tordini (lui aussi un proche de Hollenbeck) joue tout en évitement, comme une danse subtile avec le violoncelle de Christoffer Hoffmann.

C’est peut-être dans cette opiniâtre volonté de maintenir une unité commune et un rôle dévolu à chacun que réside la sensation d’une mécanique implacable dans la musique de Webber. Même dans le long « King of Denmark I », où la flûte semble glisser sur un orchestre chahuteur, une organisation se dessine dans le chaos : d’abord sur les cordes étouffées du piano de Matt Michell, qu’on a entendu avec Tim Berne, puis dans les lignes parallèles empruntées par les vents et les cordes. Même dans le court mais magnifique « Hologram Best », alors que le ténor s’avance seul en claquant de tous ses tampons, piano et batterie parviennent rapidement à articuler une forme extrêmement régulière, comme un mouvement perpétuel.

C’est la motivation de Clockwise, qui désigne le sens des aiguilles d’une montre. « Array » en montre l’aspect le plus inexorable, avec la clarinette de Viner et le trombone de Garchik qui viennent se mêler à la rythmique de la batterie de Smith. La régularité, troublante d’abord, permet aux autres musiciens d’offrir de la profondeur avec quelques notes, dans une véritable tradition de dialogue avec la musique contemporaine. Là aussi, c’est la capacité à jouer avec toute une palette de timbres qui permet à Anna Webber de disposer d’un choix ample dans les directions à prendre, quand bien même cela serait à rebours. C’est ce qui la rapproche indubitablement de John Hollenbeck, auquel on pense régulièrement dans cet album d’une virtuosité sans apprêt servi par de grands musiciens. Une voix qui compte, et pour longtemps.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 avril 2019
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