Entretien

Antonin Leymarie

Trance Music Express(ive)

Photo Christophe Charpenel.

Antonin Leymarie est un artiste multifacette. Au sein de la Compagnie Impériale, il a développé avec ses comparses un univers pétillant, dansant et vif, à la frontière entre le jazz et la musique de bal. Mais ce musicien facétieux et espiègle aime aussi les pistes de danse. Son Magnetic Ensemble, recentré depuis ces derniers mois autour d’un trio de percussionnistes, continue d’inventer une musique de transe faite à la main. Au cours de son interview, nous revenons sur son parcours, sa découverte de la musique malienne et sur ses différentes façons d’exprimer sa créativité et son originalité.

- Comment vous êtes-vous mis à la musique ?

J’ai commencé la musique au Conservatoire du 10e arrondissement à Paris en classe de percussions. J’avais un professeur assez à l’ancienne, mais très amoureux de ses élèves. Il était un peu dur mais dans le bon sens. Il m’a vraiment appris la musique. J’ai suivi tout le cycle avec un très fort intérêt pour les percussions claviers (marimba, vibraphone). En dehors des marches militaires à la caisse claire ou de transcriptions, le répertoire ancien n’existe pas. On ne joue que de la musique contemporaine, très souvent accompagnée au piano. A 17 ans, une fois mon prix en poche, j’aurais dû poursuivre au CNSM de Paris en percussions classiques. Mais j’ai préféré partir en Afrique et jouer du djembé. Ce fut une superbe expérience.

Antonin Leymarie

- Est-ce que vous avez approfondi les musiques africaines par la suite ?

J’ai continué à pratiquer le Malinké, la musique traditionnelle du Mali (djembé et dum dum) pendant cinq ans, avec plusieurs voyages là-bas. Je retrouvais souvent des musiciens au Parc de la Villette pour travailler l’instrument. L’endroit était magique car il y avait suffisamment de monde pour jouer toute la journée. Le lien était connu et prisé des artistes africains de passage à Paris. Je voyais souvent débarquer des grosses pointures. Ils venaient jouer avec nous des après-midi entières. On se saluait et on commençait à jouer ensemble. J’adorais et j’adore toujours la simplicité de ce milieu. Elle est toujours présente en moi. L’échange entre musiciens était très fort puisque nous ne jouions jamais seul. Cet état d’esprit m’a suivi. Dans mes groupes, nous sommes souvent plusieurs percussionnistes. Chacun partage le rythme pour former un contrepoint rythmique et un chant global riche et musical. Cette démarche me plaît toujours autant. L’approche du Magnetic Ensemble est basée là-dessus.

- Est-ce qu’il y a des particularités dans la percussion malienne ?

La musique est liée à la danse. L’apprentissage des phrases rythmiques se fait avec un danseur. Elles sont liées à un pas de danse et n’ont pas vocation à être jouées seules. Cela m’a appris à lever la tête en jouant de mon instrument, ce qui m’a beaucoup servi par la suite dans le cirque et le théâtre où il faut regarder devant soi. Le rapport avec le corps de la personne face à soi y est très prégnant.

La musique malienne m’a appris à lever la tête en jouant de mon instrument

- Comment en êtes-vous venu à la batterie finalement ?

J’en jouais en dilettante. Puis je m’y suis mis complètement car elle peut se marier avec le plus grand nombre des musiques qui m’intéressent et notamment la musique improvisée. Le djembé et le dum dum restent pour autant des instruments magnifiques et offrent une possibilité infinie de recherche sonore. Mais il me paraissait très difficile de les inclure dans ma propre musique. Plusieurs musiciens l’ont fait. Adama Dramé a réussi à développer plein de sonorités au djembé et peut faire des duos de musique improvisée. C’est un excellent musicien, il est né au Mali et a baigné dans la tradition. Je ne me sentais pas de me lancer là-dedans. J’ai décidé de ne faire que de la batterie pour approfondir l’instrument et je suis rentré en formation au CNSMP dans la classe de jazz.

- Vous avez aussi eu une expérience dans le cirque : pouvez-vous en dire quelques mots ?

J’ai rejoint la compagnie Les Colporteurs en tant que musicien avant de rentrer au CNSM. J’avais 20 ans et pendant quatre années, j’ai participé à la vie du cirque. Je faisais les voyages, je vivais en caravane et participais au montage du chapiteau. Ces années furent intenses et géniales avec un énorme partage avec les autres membres du cirque. Franck Jacquart et Carl Schlosser composaient la musique. Je l’ai refait par la suite sur trois autres créations où j’étais toujours autant impliqué dans la vie de la compagnie. Cette fois-ci, j’étais co-compositeur avec Rémi Scioto et Boris Boublil. J’en garde un excellent souvenir.

- Souvent votre musique peut donner envie de danser. D’où cela vient-il ?

Que ce soit dans la musique malinké, dans le cirque, mais aussi dans mes créations musicales pour la Compagnie Louis Brouillard-Joël Pommerat, l’image occupait une place très importante. Ces trois expériences m’ont poussé à partager avec les corps qui sont en face ou autour de moi sur scène. Donc oui, j’aime bien les choses en mouvement, les dynamiques et le rythme aussi. J’adore quand la musique enrôle les gens, qu’il y a une tambouille en train de naître et que le public se met à bouger. Ceci dit, ce n’est pas obligé que cela danse pour être bien. Je joue aussi de la musique improvisée où les gens ne dansent pas.

- L’Impérial Orphéon et le Magnetic Ensemble me semblent être des projets hybrides puisqu’ils oscillent entre le bal et le jazz pour l’un, l’électro et l’impro pour l’autre. Est-ce que ces projets ont eu du mal à trouver leur public ?

On peut les considérer comme des projets hybrides dans la mesure où ils se jouent partout. L’Impérial Orphéon se produit aussi bien dans les Cévennes avec un public grisonnant et assis que dans un festival de cirque devant 300 personnes debout et en train de danser à fond. Les deux modes fonctionnent très bien. Pour le Magnetic Ensemble, c’est pareil. Ces musiques peuvent se partager avec tout le monde, des enfants comme des personnes âgées. Je ne vois pas de frontière là-dedans. Quand j’arrive en concert, je trouve intéressant le rapport à l’espace et au temps présent. J’essaye d’être présent à un endroit donné à un moment donné et de partager mon ressenti avec les gens présents. D’une certaine manière, tout peut marcher tout le temps ou tout ne peut pas marcher tout le temps. On peut jouer devant un public assis et ressentir quelque chose de très fort tout comme avoir un concert un peu banal devant un public déchaîné.

- Est-ce que ce côté hybride a pu être un frein pour les programmateurs ?

Les musiques sont effectivement très cataloguées en France. Elles sont mises dans des boîtes par les programmateurs. Certains pensent que cela ne peut pas marcher si la bonne case n’est pas cochée. C’est une erreur pour moi. Tout projet peut marcher. Il faut l’amener, le préparer. Heureusement, nous pouvons compter sur le super travail de programmateurs dans des lieux ou des festivals. Je trouve intéressant de déplacer l’objet dans un endroit où on l’attend le moins. Avec l’Impérial Orphéon, on n’a jamais eu de problème. On sait aussi s’adapter à la situation. Je le constate avec bonheur et amour. Si par exemple la scène est trop haute ou la jauge est trop grande, on va jouer par terre en semi-acoustique devant les gens et ce sera formidable.

- Comment résumeriez-vous votre travail sur le son ?

La dynamique. La beauté dans nos musiques acoustiques et semi-improvisées réside là-dedans. Cela nous touche lorsque nous jouons et le public y est aussi sensible. La dynamique, l’amplitude du son incarnent la fragilité, la force, le doute, la sensibilité, tout ce qu’il y a d’humain dans nos musiques. Quand la musique est à fond, compressée, je suis moins sensible au rendu, il est moins touchant. Le Magnetic Ensemble défend cette esthétique. Il rassemble des instrumentistes jouant une musique empreinte d’électro, de techno et de musique traditionnelle de l’Ouest africain. Tout l’intérêt de ce groupe repose justement sur les dynamiques. Nous réagissons au quart de centième de seconde. Si nous levons les mains de nos instruments, il n’y a plus de son. Cela nous différencie des machines ainsi que l’interprétation, la proposition et l’invention de chaque musicien dans le moment présent.

Nous réagissons au quart de centième de seconde.
Si nous levons les mains de nos instruments, il n’y a plus de son

- Comment s’est passée la création du Magnetic Ensemble ?

J’avais une carte blanche à l’Atelier du Plateau en 2012, un excellent lieu de création et de partage à Paris. J’ai réalisé quatre créations cette année-là. Le Magnetic Ensemble était la dernière et le projet d’un soir. Les musiciens ont pris beaucoup de plaisir pendant le concert, alors le projet a continué, soutenu par des salles et des festivals.

- Votre nouveau disque Rainbow est sorti au début du mois sur le label R Phono, est-ce que le son du groupe continue d’évoluer de manière aussi marquée ?

Il s’agit carrément d’un pas de plus. Le son a évolué car le groupe est désormais un trio recentré sur les percussions avec Benjamin Flament et Matthieu Desbordes. Des invités de différents horizons ont participé au disque dont Thomas Bloch, Maxime Delpierre, Nosfell, Fabrizio Rat et Sabrina Sciubba. J’aime beaucoup mélanger les genres. Je ne vois pas de frontière car tout se partage. Je trouve que le projet se développe de belle manière. L’évolution est quelque chose d’important pour avancer. Il faut mettre de côté les acquis pour continuer à progresser. Je crois que c’est assez universel.

Magnetic Ensemble © Gérard Boisnel

- Comment se porte La Compagnie Impériale ?

La Compagnie se développe magnifiquement bien. Nous avons lancé le GRIO, le Grand Impérial Orchestra, soit la réunion de l’Orphéon et du Quartet. Il est constitué de 5 musiciens et de 3 musiciens invités : Fred Roudet, Aymeric Avice et Simon Girard. Ce projet s’inspire à la fois de de références très jazz comme Ellington, Mingus ou Carla Bley, mais aussi des trompes de Centrafrique, qui produisent des jeux rythmiques très particuliers et s’inscrivent dans une tradition de partage. La première a eu lieu à Alès en octobre et le disque devrait sortir bientôt sur le label La Buissonne. Les autres projets tournent aussi beaucoup et nous faisons tout pour cela. L’Orphéon et L’Impérial jouent encore beaucoup. Vox populi, notre projet avec la maîtrise de l’Opéra de Montpellier, sera en création en 2020.

- Est-ce que la création du Magnetic a influencé le son de la Compagnie impériale ?

Je crois que tout influence tout. Et cela n’est pas spécialement lié au Magnetic Ensemble. Je trouve aussi très enrichissant d’avoir des projets différents. Les rencontres permettent de se nourrir d’autres cultures, d’autres énergies et d’autres manières de jouer. Cette notion de partage demeure très importante. Avec ce groupe, j’ai découvert beaucoup de musique électronique. La production est incroyable et infinie. Cela fait évoluer le jeu de batterie et ce qu’il y a dans les oreilles. J’ai développé effectivement pas mal de machines sur la batterie, avec lesquelles je joue en solo. Je ne l’aurais pas fait sans ce groupe, tout comme la découverte des musiques électroniques. En solo, ma batterie est équipée de capteurs qui envoient le son direct dans les machines et les pédales d’effets. Je joue ensuite avec l’écho, le delay, les compresseurs, les réverbérations, la réponse de la machine par rapport au son qui rentre dedans. Je me balade entre un travail sur la matière et sur le rythme. Cela donne une musique empreinte d’électro, de la techno, mais aussi des rythmes du Mali et des tournes en 12/8. Tout tourne autour de la transe. Je questionne le rapport de l’homme et la machine et le dialogue qui peut naître entre les deux.

- Vous jouez sur le disque Wolphonics , le projet de Fabrice Theuillon ; est-ce une première pour vous de jouer du Hip Hop ?

J’adore la funk de la Nouvelle-Orléans et je suis un fan des Meters. Je suis parti là-bas il y a six ans pour me frotter à cette musique et la travailler. Je m’intéresse au hip hop et à ce qui se fait aujourd’hui par ce biais-là, mais je n’en ai jamais vraiment joué. Je ramène plutôt cette couleur-là au jeu d’un « gros » batteur de Hip Hop comme Questlove. Ces musiciens m’inspirent et je les trouve incroyables, mais je suis dans un son plus groove à la manière des Meters : je n’ai pas un son très serré, ni très sec comme il peut y avoir dans le hip hop. J’essaie d’inventer des choses avec ce groupe. D’ailleurs, nous sommes tous dans cette démarche et ça joue terriblement bien. Je souhaite longue vie à ce groupe

- Ce disque est sorti sur le même label que celui du Magnetic Ensemble, un hasard ?

Il est sorti sur le label Airfono, créé par Julien Princiaux et l’association Cavalcade. Il regroupe des artistes de styles différents mais qui ont des choses en commun : la manière d’être à la musique, l’envie de jouer ces projets-là sur scène. Le monde du disque est assez dur. C’est contraignant de trouver un label qui veut bien t’accompagner. Cela prend du temps et il peut parfois passer presque une année entre l’enregistrement et la parution du disque. Avec de tels décalages, il n’est plus d’actualité à sa sortie.

- Un dernier mot ?

Je souhaite que la musique joue le plus possible dans le maximum de lieux en France. On ne doit pas hésiter à libérer les espaces pour que les musiciens puissent se rencontrer très régulièrement. Je vois aussi beaucoup de jeunes musiciens excellents avec une énergie folle. Le public est là, mais il n’y a pas assez de lieux pour donner accès à ce qu’on fait. Heureusement, il y a beaucoup de passionnés qui œuvrent pour nos musiques : des bénévoles, des techniciens, des programmateurs. Je suis sûr qu’on peut faire évoluer les choses dans le bon sens pour avoir encore plus de musique. Cela me tient vraiment à cœur, car c’est une belle manière de faire avancer l’âme. Pendant un concert, quand je vois un partage avec le public et que je ressens l’émotion, cela me touche énormément.

par Jean-François Sciabica // Publié le 25 novembre 2018
P.-S. :

GRIO : Grand Impérial Orchestra

Magnetic Ensemble