Chronique

Antonio Sanchez

New Life

Antonio Sanchez (dm), Dave Binney (as), Donny McCaslin (ts), John Escreet (p), Matt Brewer (b), Thana Alexa (voc)

Label / Distribution : CamJazz/Harmonia Mundi

Dans notre coin de monde on a parfois du mal à suivre l’intense actualité du jazz outre-atlantique. Non qu’on ait oublié d’où vient cette musique : du côté du soleil couchant, là où la lumière s’éteint pour nous, et où tout devient possible. Pourtant, l’actualité du levant et du présent est riche, et souvent, ce qu’on voit là-bas appartient plus au passé qu’à l’avenir tandis que ce qui se passe ici nous paraît être le « bout du monde », comme si tout commençait et finissait au coin de la rue. À ce titre, ce disque fait réfléchir à ce qu’est l’actualité musicale. On n’y trouve ni révolution, ni jeunes sans expérience : cette New Life dont le leader est le batteur Antonio Sanchez réunit des musiciens de grand talent dont le nom ne court pourtant pas les rues et les clubs de Paris, Nancy, Rome ou Göteborg, sans parler des festivals européens. Et ils sont légion là-bas les « jeunes loups » remarquables, le groupe d’Antonio Sanchez n’étant que l’arbre qui cache la forêt si fertile du jazz américain.

Ce Mexicain né en 1971 a eu Danilo Perez comme professeur au Berklee College de Boston et a accompagné Pat Metheny, Gary Burton ou Chick Corea ; il s’entoure ici du fantastique altiste Dave Binney qui – on ne s’en souvient guère – a été révélé par Point Game, gravé par Jean-Jacques Pussiau pour Owl Records en 1991, ainsi que de Donny McCaslin, lui aussi élève du Berklee College, qui a joué avec Gary Burton et intégré Steps Ahead en 91 avant de rejoindre Maria Schneider, puis Dave Douglas ; et de John Escreet, pianiste anglais résidant à New York. Ce proche de Dave Binney a été à la meilleure école : celle de Kenny Barron et de Jason Moran. Il est, dans ce disque, absolument remarquable, parcourant le clavier avec une acuité de chaque instant, toujours juste, lumineux, imaginatif. Toujours « présent » sans pour autant s’imposer. Quant à Matt Brewer, élève de la Juilliard School, il apporte une assise constante au groupe, mais aussi, plus surprenant, une harmonie incandescente. Enfin, Thana Alexa une jeune Américaine d’origine croate, est une découverte ; inventive dans un domaine où il est difficile de l’être, la voix, elle ouvre avec audace des portes méconnues.

New Life propose une musique remarquablement construite qui n’ignore rien ni des années passées, ni des techniques les plus audacieuses, une musique d’une beauté pure, lumineuse, et d’une énergie intense, un discours tissé d’épure, de mesure et d’intelligence. Les musiciens y font preuve d’une sorte de classicisme d’aujourd’hui : on entend pleinement ce que le disque doit à une certaine tradition - les années 60-70 -, et ce qu’il comporte de créativité, sans emphase ni démonstration ; en effet, quand les lumières sont aussi vivantes, vibrantes, à chaque détour de phrase, c’est bien de cela qu’il s’agit. Antonio Sanchez est un leader d’une grande maîtrise. Sa batterie dirige (dans la mesure où le leader d’une formation de jazz est un « directeur ») mais surtout, elle joue, à sa façon, avec sa singularité ; pivot de l’ensemble, elle en assure la cohérence.