Chronique

Archie Shepp

Phat Jam in Milano

Archie Shepp (voc, sax), Napoleon Maddox (rap, beatbox), Oliver Lake (sax), Joe Fonda (cb), Hamid Drake (dr), Cochemea Gastelum (sax)

Label / Distribution : Dawn of Freedom

Non content d’être, en tant que saxophoniste, un des constructeurs de la « New Thing », Archie Shepp est aussi un explorateur de la parole : celle du peuple noir des Etats-Unis, chantée et psalmodiée dans les églises, scandée sur les tribunes politiques, dans les discours de Martin Luther King ou d’Angela Davis ; parole porteuse de souffrance, d’espoir et de lutte. Tchatcheur engagé, Napoleon Maddox l’est aussi, et combien. Leader du groupe Iswhat ?!, il tranche sur le lot des rappeurs par un flow plus rythmique, très percussif, et des textes (parfois improvisés : ce que l’on appelle le free style) - autobiographiques, politiques et/ou sociaux de belle tenue.

En 2006, Archie Shepp faisait ses premiers pas discographiques dans le monde du hip-hop sur un album du rappeur français Rocé. En 2006, Iswhat ?! enregistrait en public un disque intitulé The Life We Chose, où Hamid Drake était invité sur un titre. Les ingrédients sont réunis pour une rencontre, qui s’est tenue au Teatro Manzoni de Milan le 19 novembre 2007 et dont le présent CD est la captation. Multiple rencontre puisque, curieusement, Oliver Lake et Shepp n’avaient jamais enregistré ensemble, malgré des démarches artistiques proches et des fréquentations communes à foison, dont l’écho est palpable dans leur entente sur scène.

Les titres sont, pour la plupart, extraits de The Life We Chose. On y retrouve le thème-titre, mais aussi « Casket » et son thème de saxophone très jazz, une récupération discutable du « Kashmir » de Led Zeppelin - réduit à ses riffs - et le très efficace et politique « Ill Biz » qui stigmatise l’affairisme de l’ère Bush (nous sommes un an avant l’élection de Barack Obama). « Dig » est un texte de Maddox mis en musique par Joe Fonda et Shepp, et « Revolution », le plus long morceau du CD, est d’Archie Shepp.

La comparaison entre les deux albums s’impose, et le présent CD en sort gagnant : les deux genres aux origines communes se rejoignent de manière très convaincante. Sur le drum’n’bass volontairement fruste du hip hop, les trois saxophonistes (Shepp, Lake et Cocheme’a Gastelum) apposent leurs couleurs mélodiques ; on y gagne en densité, pas en pesanteur. En retour le flow de Maddox, la crudité de ses paroles leur donnent un coup de fouet, et ses interventions en beatbox dialoguent à plaisir avec un Hamid Drake éblouissant de flexibilité et d’engagement. Quant à Joe Fonda, la pertinence de son jeu n’est jamais prise en défaut : sur « Dig » ou « Ill Biz » il campe un groove imparable et d’autant plus percutant qu’il se limite à l’essentiel ; l’intro en solo de « Kashmir » allie une verve indiscutable à un superbe son boisé et le riff de « Revolution » est une leçon de transe comme on en donne peu. Par-dessus tout, il règne sur ce plateau une atmosphère de sincérité et de plaisir partagé qui donne à l’album un caractère hautement sympathique. Une rencontre musicale qui pourrait marquer un tournant, tant la double greffe semble avoir bien pris.