Chronique

Archie Shepp & Max Roach

The Long March

Archie Shepp (ts), Max Roach (dm)

Label / Distribution : Hat Hut

Quand se rencontrent deux figures marquantes de la musique noire américaine, issues de deux générations différentes mais musicalement et politiquement proches, le résultat ne peut être que placé sous le signe de l’intensité et de l’engagement. Ce double album issu d’un concert paru en 1979 offre un aperçu exceptionnel de la puissance et de la créativité de ces deux géants au sommet de leur art. Chaque pièce souligne cette volonté d’associer musique et idéologie dans un même élan, tant dans le titre des compositions que dans le choix des reprises ou le jeu en soi.

La construction des deux volets est similaire. D’abord un solo de Max Roach : « J.C. Moses » sur lequel il fait étalage de toute sa science du rythme, de sa subtilité et de son immense musicalité au service d’une révolte qui couve, d’une grande force évocatrice. « Triptych » est un hommage aux batteurs et à la batterie ; les deux premières parties sont assez voisines, et sur la troisième Roach n’utilise que les cymbales et le charleston pour un résultat étonnant. Puis Archie Shepp donne une version miraculeuse de « Sophisticated Lady », sorte de long effeuillage du thème d’Ellington, tout en évocation retenue et empreinte d’émotion. Sur « Giant Steps », Shepp s’engage dans le sillage de John Coltrane en faisant preuve d’une prolixité et d’une technique impressionnantes tout en conservant une personnalité propre.

Après ces interventions en solo, les deux musiciens se retrouvent pour ces pièces de résistance (dans tous les sens du terme) que sont « The Long March » [1] et « South Africa Goddamn ». Sur ces longues plages tout en connivence où Roach se fait mélodiste et renouvelle perpétuellement son jeu, alors que Shepp passe d’une douceur mélancolique et sensuelle aux motifs mélodiques obsédants, habités par les stridences (« South Africa Goddamn »), à un déploiement d’énergie dément, notamment sur « The Long March ». Après cela, « U-JAA-MA » et « It’s Time » — qui concluent l’album — font figure de beaux retours sur terre qui prouvent, si besoin était - que ces deux maîtres étaient bien faits pour jouer ensemble.

De toute évidence, The Long March, dont c’est la quatrième réédition par Hat Hut, garde toute sa fraîcheur et son actualité trente ans après son enregistrement. Indispensable.

par Julien Gros-Burdet // Publié le 21 décembre 2009

[1Issue d’une suite, « Sweet Mao », composée par Roach à la demande du Parti Communiste italien à la mort de Mao Zedong.