Chronique

Armaroli-Sharp-Piccolo

Blue in Mind

Sergio Armaroli (vib), Elliott Sharp (g), Steve Piccolo (voc)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Expérience étrange au premier abord, Blue in Mind est de ces disques qui ne livrent pas immédiatement leurs secrets. Il est structuré autour d’un axe fort et très complice : le guitariste et électronicien Elliott Sharp retrouve le poète et âme des Lounge Lizards Steve Piccolo après plusieurs années et un trio avec la chanteuse lyrique Donella Del Monaco. L’Américain et le Britannique sont conviés par le vibraphoniste italien Sergio Armaroli à une douce errance dans des bribes de souvenirs et de musiques, entretenus par la guitare et les effets. On croise quelques notes de Monk, la boussole du vibraphoniste, et quelques effluves de Charlie Parker, glissés sans volonté de clin d’œil appuyé dans un flux que draine la voix de Piccolo, de la manière la plus dégingandée qu’il soit.

Il ne faut pas s’attendre avec Elliott Sharp à un fleuve tranquille. Certes, sur « Abstract 1 | Wasting Days », la guitare est d’abord de facture classique, s’attachant à un arc mélodique précis, mais n’allez pas penser que le musicien, que l’on entend indifféremment avec Mary Halvorson ou Bill Laswell, puisse s’en tenir à un parcours fléché. Sur « As I Was Saying », qui se déroule comme un rêve fiévreux, on a la surprise de le découvrir au saxophone soprano, délicatement mis en exergue par un flux électronique mis en boucle ; pendant ce temps, Steve Piccolo s’invente des dialogues en soliloques à propos de boîtes et de personnages qui les occupent. On pense parfois à d’autres poètes comme Steve Dalachinsky, avec cependant quelque chose de plus évanescent et détaché, et étrangement accompagné d’une certaine tension.

C’est le cas de ce « B&B » où Armaroli et Sharp bataillent dans un canevas de plus en plus dense et étouffant… Une atmosphère qui perdure dans « Be Reasonable », perclus d’électronique. Blue in Mind se dote alors d’une pensée plus complexe et grave, peuplée de doutes et d’angoisses retenues étonnamment libératrices. On aurait pu croire à une certaine légèreté sur ce disque paru chez Leo Records, mais le vernis craquelle à mesure qu’on y pénètre, laissant paraître des écorchures. Si c’est Armaroli qui invite sur ce disque qui s’achève dans un bourdon envahissant, il laisse beaucoup de place à ses camarades. Le vibraphone ponctue, tente des percées de lumière dans les ténèbres qui gagnent peu à peu, et trouve un équilibre constant. Blue in Mind est une belle aventure poétique, profonde et attachante.