Scènes

Aruan Ortiz, graines de cubisme au Moulin

Le trio Hidden Voices au Moulin à Jazz de Vitrolles, le 7 octobre 2017.


Aruan Ortiz (Gérard Tissier)

Annoncé sous des auspices cubains, le pianiste Aruán Ortiz, New-yorkais né à Santiago de Cuba, emmène ce soir-là le public d’un Moulin à Jazz archi-bondé (comme d’habitude) dans un ouragan sensoriel.

Car c’est bien un jeu cubiste qu’il développe, déconstruisant et reconstruisant sans cesse son récit musical, donnant à saisir, l’espace d’un fugace instant, quelques facettes de ce qu’il raconte pour secouer les perceptions du public jusqu’aux tréfonds de l’intime. Sur la première proposition, le bassiste John Hébert tient néanmoins solidement les murs de la maison : c’est au batteur, Gerald Cleaver, qu’est dévolue la mission de « fractaliser » les séquences rythmiques et harmoniques de l’orchestre. Le trio prend une dimension orchestrale en développant des éléments polyphoniques et polyrythmiques dans l’interplay mais aussi dans les singularités des instruments qui le composent.

John Hébert, Gerald Cleaver

On entend comme un blues en seconde proposition. S’agirait-il de ramener tout le monde sur terre ? Que nenni ! Le contrebassiste déroule un chorus qui conduit la salle (le public et les musiciens semblent en osmose ce soir-là !) au cœur d’une abstraction naturelle. Dans cet oxymore musical, tout le monde est en transe. Par sa façon de ramener l’apparente simplicité du blues, il se fait cubiste lui aussi, osant un réassemblage incongru des éléments mélodiques et rythmiques préalablement dispersés. Inutile de chercher à les saisir, ils sont déjà passés…

Deux morceaux pour le premier set, donc, et un second set qui démarre sur une mélodie sans pareille. C’est au batteur que revient la part du lion dans les séquences improvisées, faisant montre d’une douceur infinie. On est soudain pris d’une furieuse envie de chanter ! Le moment est venu de proposer une ballade : la mayonnaise que fait monter Gerald Cleaver aux balais est si légère qu’on s’en pourlèche les babines, cependant qu’Aruán Ortiz étire son jeu, ouvrant des sensations délectables. Le cub(an)isme dont il se prévaut est aussi délicieusement gustatif.

Tiens, n’y aurait-il pas comme une clave latine sur le troisième thème ? Rubalcaba nous voilà ? C’est pourtant une symphonie « stravinskyenne » qui l’emporte, se décomposant et se recomposant comme un prisme qui génère des sensations colorées comme l’arc-en-ciel. Ce motif typique de l’art d’Aruán Ortiz prend bien valeur de manifeste. Alors quoi de mieux que de terminer ce set avec la douceur d’un « Crepuscule With Nellie » de Monk ?
Que se couche le soleil, oui, mais ce soir-là nous étions dans les étoiles !