Attica Blues au Théâtre Romain de Lyon

Archie Shepp, saxophoniste et icône du free jazz, vient de fêter ses 76 ans. A cet âge, beaucoup sont fatigués, battent en retraite. Pas lui… Son ADN, ses cellules lui intiment de combattre l’injustice.

« Nous sommes tous des prisonniers »

Ainsi, derrière le rideau de scène, en introduction au concert, sa voix témoigne des événements, en particulier de l’assaut sanglant ordonné par le gouverneur Rockefeller contre les détenus de la prison d’Attica, répression qui fera 39 morts. En 1971, alors qu’ils ne représentent que 15% de la population, au pénitencier de l’Etat de New York, les Noirs sont majoritaires et subissent le racisme des gardiens. Leur mutinerie fait écho à ce qu’il s’est passé à la prison de Soledad où, un mois plus tôt, George Jackson, un des leaders des Black Panthers, condamné à onze ans de réclusion pour complicité suite au vol de $70, écrivain révolutionnaire, périt à 30 ans, assassiné juste avant son procès.

L’album Attica Blues est donc d’abord un témoignage. Quoi de plus évident que cette forme musicale pour raconter la ségrégation, rendre hommage aux hommes qui ont donné leur vie à la lutte contre l’injustice ? Et pour accueillir les vingt-six musiciens d’un big band intergénérationnel, quel autre haut lieu chargé d’histoire que le théâtre romain de la colline lyonnaise de Fourvière, dont les pierres répercutent la musique depuis vingt siècles ?

Jimmy Owens emmène un orchestre de jazz composé d’une vénérable et rassurante rythmique : Tom McClung, Reggie Washington et Famoudou Don Moye ont des kilomètres de swing au compteur. Pour ajouter un peu d’onctuosité au son parfois râpeux des cuivres, Shepp ajoute des cordes à l’aventure. C’est un jeune quatuor dijonnais, repéré lors d’un stage par Raphaël Imbert (sax alto dans la troupe), qui s’adonne avec ferveur à la découverte du swing et de l’improvisation.
Trois générations de compagnons d’Archie, lequel ne s’est pas entouré de seconds couteaux !
On y trouve Stéphane Belmondo au bugle, totalement engagé dans « The Cry of My People », déchirant à souhait, un chœur de voix d’or composé de Cécile McLorin-Salvant, Marion Rampal, Amina Claudine Myers, et le guitariste Pierre Durand, qui tente avec bonheur une autre expérience de grand orchestre (il sert la messe d’une impro magnifique dans « Blues for Brother George Jackson »).

Autant d’individualités reconnues pour qui le collectif a pris tout son sens, et pour la bonne cause !
Pendant deux heures, qui filent comme les étoiles, entrecoupées de quelques éclairs et coups de tonnerre dans la sono, la bande à Archie déroule une bonne douzaine de titres, composés par Calvin Macey, Amina Claudine Myers, ou encore Shepp lui-même, dont un émouvant « Steam » en hommage à son jeune cousin, victime à 15 ans de la répression policière.

D’autres titres que ceux de l’album d’Attica se sont invités à la fête, dont un « Mama Too Tight » truculent, occasion pour tous les jeunes souffleurs de venir au devant de la scène se frotter à tour de rôle au professeur.

En attendant l’enregistrement live, les Nuits de Fourvière se sont entichées d’Archie, et le théâtre romain de son Antiqua Blues.