Au Canada, un renouveau de long en large
Quatre albums témoignent d’une fervente actualité outre Atlantique.
Nicole Rampersaut en solo, Eve Egoyan et Mauricio Pauly en duo, Josh Cole en trio, Ruiqi Wang avec son quartet agrémenté d’un quatuor à cordes. Ces musicien·ne·s ont toutes et tous de fortes identités artistiques, l’innovation se réalise par des formes musicales inusitées issues de territoires disparates. Il n’en fallait pas plus pour faire un tour d’horizon de cette avant-garde canadienne
L’atmosphère de Saudade est chargée de microtonalités et les plages de l’album intègrent une prodigieuse maîtrise instrumentale. Seule, Nicole Rampersaut s’affirme d’entrée comme une musicienne qui passe facilement du bruitisme élaboré à des séquences plus sereines. Son maniement de l’électronique n’a rien de coutumier, entre stridences et réverbérations acoustiques, elle inocule un son à la trompette hérité de Don Cherry. Les collaborations fructueuses avec Anthony Braxton, Roscoe Mitchell ou Evan Parker permettent à cette compositrice originale d’embrasser des styles variés et d’injecter des critères esthétiques qui n’appartiennent qu’à elle. Nicole Rampersaut est co-fondatrice d’Understory, dédié aux séries d’improvisations en ligne et qui a pour but de mettre en relation les artistes du territoire géopolitique connu sous l’appellation de Canada.
Passer aisément d’Erik Satie à Alvin Curran a attisé la curiosité d’Eve Egoyan basée à Toronto et devenue l’une des grandes pianistes adulées autour de la planète. Ses enregistrements classique sont salués par la presse internationale, mais Hopeful Monster lui permet d’aller au bout de ses expérimentations qui allient le piano et un logiciel qui simule le comportement de l’instrument acoustique. Le tout est traité en temps réel par Mauricio Pauly qui utilise divers échantillonneurs qui captent et manipulent ses sons amplifiés, en particulier des cordes, ainsi que ceux des pianos. Ces deux artistes pluridisciplinaires unissent leurs efforts pour inventer. La dispersion spatiale des sons reste toujours harmonieuse, comme si l’expérience de ces deux musicien·ne·s leur permettait de surpasser les difficultés technologiques. Hopeful Monster est rafraichissant, les volutes soniques y sont spectaculaires.
Dans un siècle passé, le trio révolutionnaire de Jimi Hendrix s’intitulait Experience, les musiques dérivées de son style sont pour la plupart devenues conformistes, ce qui permet d’apprécier la diversité musicale dans laquelle le trio du contrebassiste et générateur de sons électroniques Josh Cole nous embarque. Pas de batterie ici mais un vibraphone et un marimba transfigurés par Michael Davidson, Karen Ng passe du saxophone alto à la clarinette et au synthétiseur avec pugnacité. Rien ne s’installe très longuement dans des rythmes préétablis, la musique tourne constamment à l’image d’un derviche nourrit aux sons industriels. Il y a des accalmies néanmoins, « Red Deer », du nom d’une petite cité où Josh Cole a vécu, flotte au dessus des grondements d’une mer déchainée par des improvisations où l’électricité est reine. Kind Mind génère des tensions par des sons graves qui scellent les noces entre des univers fantasques et l’urgence d’affronter l’expérience.
La délicatesse dans laquelle baigne Subdwing the Silence est parsemée de sentiments intenses exprimés par Ruiqi Wang. Originaire de Hangzhou en Chine, cette chanteuse vit à Montréal. Dans cet album intimiste, elle mêle subtilement le jazz à trois interprétations d’une chanson chinoise « Xiang Leng Jin Ni » dont l’écriture du XII siècle est due à la poétesse Qingzhao Li, Le résultat est féérique, Ruigi Wang émet une qualité de timbres et d’harmoniques, chaque note confine à la pureté. Trois jeunes femmes promises à un bel avenir entourent la chanteuse, Stephanie Urquhart au piano, Summer Kodama à la contrebasse et Mili Hong à la batterie. De plus, un quatuor à cordes enrichit la texture sonore. De nombreuses surprises jalonnent l’album, les miniatures exquises que sont « Shimmering », « I Am A Tree » et l’avant-gardiste « A Descent Of Lilies ». La maîtrise du silence se conjugue à l’enchantement procuré par cet album.