Chronique

Augusto Pirodda Septet

The Monkey & The Monk

Augusto Pirodda (p), Ben Sluijs (as, fl), Sam Comerford (ts, bs, cl), Laurent Blondiau (tp, flh), Lynn Cassiers (voc, elc, fx), Manolo Cabras (b), Marek Patrman (dms)

Label / Distribution : El Negocito Records

Ambitieux, le projet d’Augusto Pirodda l’est absolument. À la tête d’un septet foncièrement aventureux (on ne met pas Lynn Cassiers et Laurent Blondiau dans le même orchestre sans s’attendre à des chemins de traverse ou autres trous de vers…), le pianiste italien, installé depuis des années à Bruxelles après être passé par Amsterdam, nous emmène dans un imaginaire très intime, où les histoires se racontent de manière allusive et sous forme de tableaux. The Monkey and The Monk est un concerto en trois mouvements qui va au plus profond des choix esthétiques de Pirodda : tout commence avec un « First Movement » troublant où l’orchestre sonne comme un big-band tout ce qu’il y a de classique, tenu par la batterie impeccable de Marek Partman. Mais c’est compter sans les déformations vocales de Cassiers, qui vient éroder l’ensemble et emmène le septet dans un autre univers. Plus instable certes, mais plus apaisée aussi, la clarinette de Sam Comerford (aperçu dans ODIL) est une lumière qui guide l’écoute.

Il règne une telle cohésion dans le septet que l’on perçoit l’entreprise familiale, à peine dirigée par le pianiste. Rien de bien surprenant : ces musiciens jouent souvent ensemble. Dans Yun de Cassiers, on retrouve la base rythmique que le saxophoniste Ben Sluijs accueille aussi dans ses orchestres. Pirodda joue de ces connivences en imposant de sa main gauche des basses solidement ancrées dans une réalité qu’il convient de sublimer, ce que la trompette de Laurent Blondiau fait à merveille dans le « Third Movement », en osmose avec la contrebasse de Manolo Cabras. Ce dernier est au cœur de la machine tout au long du concerto. Lorsque le chaos surgit d’un mouvement, alors que le saxophone de Ben Sluijs se heurte à un piano volontaire, c’est lui qui veille à ce que le fil ne rompe pas, et continue à raconter une histoire si lointaine que nous en ignorons tout ; il nous reste à l’imaginer, à nous laisser porter par la voix de Lynn Cassiers et les rebondissements réguliers du septet.

Quelques pistes apparaissent néanmoins à la toute fin de cet album paru chez El Negocito Records. A la suite de ce concerto en trois mouvements, The Monkey and The Monk propose un solo de piano de Pirodda, comme le squelette du foisonnement entendu auparavant. Les morceaux sont courts et intenses. Dans la « part II » de The Unbearable Lightness of Freedom, on peut à nouveau goûter à la puissance des basses d’un pianiste qui enregistrait il y a quelques années avec Gary Peacock et Paul Motian. Si le disque est pour beaucoup une plaisante énigme, la présence de ce solo en surplus d’un concerto qui se suffisait sans doute à lui-même est parfois, paradoxalement, déconcertante. Il n’en reste pas moins l’œuvre florissante, étonnante et brillante d’un orchestre de doux rêveurs qui nous emmènent où ils le souhaitent.