Sur la platine

Avenel, Lazro en pleine lumière

Deux albums parus chez Fou Records nous remémorent de fortes personnalités.


Le catalogue Fou Records s’enrichit de deux enregistrements inédits qui célèbrent la musicalité partagée entre Jean-Jacques Avenel et Daunik Lazro, rejoints sur le deuxième album par Tristan Honsinger. Le contexte historique du jazz des années 1980 est marqué par l’émancipation progressive des musiciens français vis-à-vis de leurs collègues européens. L’improvisation radicale était jusque-là l’apanage des Britanniques, des Hollandais ou des Allemands. L’héritage du free jazz et des musiques afro-américaines demeure sous-jacent, comme on le perçoit avec les dédicaces énoncées dans le premier disque. L’expérience acquise par Jean-Jacques Avenel avec Steve Lacy et Frank Wright se mesure à celle de Daunik Lazro qui s’est lancé dans le bain musical avec Saheb Sarbib. Ces deux artistes accomplis héritent d’une polyvalence stylistique qui leur permet d’improviser sans jamais abandonner la trame poétique.

On connaît le vinyle The Entrance Gates Of Tshee Park, enregistré à Dunois et à Clichy en novembre 1979, et publié chez Hat Hut. Jamais réédité - comme bon nombre d’albums produits par Pia et Werner Uehlinger - cet enregistrement scellait un duo composé par Jean-Jacques Avenel et Daunik Lazro.
Jean-Marc Foussat continue d’exhumer des trésors et ressuscite ce couple d’instrumentistes en publiant un enregistrement qu’il avait réalisé à la bibliothèque de Massy le 13 novembre 1980.

« John Tchicai In West-Africa meets Jimmy Lyons In Maghreb », longue pièce de près d’une demi-heure, est un voyage où l’imaginaire émerge des entrelacs de lignes instrumentales. La machine se lance sur des rails, l’ancrage au sol est robuste, mais les méandres harmoniques visent les étoiles.

Ce jeu d’équilibriste est caractéristique des deux musiciens qui construisent patiemment un processus élaboré. « Cordered (for Steve Lacy & Anthony Braxton) » fait penser aux structures lacyennes de cette époque, elles imprègnent le jeu vif de Jean-Jacques Avenel. Les articulations saccadées de Daunik Lazro contribuent à amplifier l’envergure des improvisations. La liberté qui déferle ne perd jamais pied.

« Improv Including Pat. & Ever Never », ou comment, à partir de do-ré-mi-fa-sol-la-si, la fusion sonore de trois inventeurs de rêves prend forme. La voix humaine est de la partie et la justesse du propos réserve des effets de surprise. Jean-Jacques Avenel est toujours impérial et lyrique à la contrebasse, enclin à l’abstraction. Le violoncelle de Tristan Honsinger est habité par la nervosité et l’alto de Daunik Lazro lie les conversations avec intransigeance. Le souffle se conjugue avec les cordes, des vibrations emplissent l’espace, les chants fusionnent.

« Improv Including Cordered & Canoë » » s’étire sur une quarantaine de minutes, tout s’imbrique solidement, l’échafaudage prend corps et s’élève. « Cordered », déjà présent dans le disque en duo, revient un tantinet plus agile, le parcours comporte des balises. Mais des incartades surgissent, un texte d’Antonin Artaud extrait de la préface du Théâtre et son double de 1938 ainsi que l’apparition du tubausax [1]. True & Whole Tones In Rhythms sublime l’imprévisibilité.

Ces deux albums viennent à point nommé nous rafraîchir la mémoire. La restitution de ces enregistrements de ces concerts, captés par Jean-Marc Foussat, est éclatante.

par Mario Borroni // Publié le 16 mars 2025

[1Saxophone alto augmenté d’un tube entre le bocal et le corps de l’instrument, innovation empruntée à Michel Portal, NdlR.