Chronique

Béla Szakcsi Lakatos

Climate Change

Béla Szakcsi Lakatos (p), Tim Ries (ts), Robert Hurst (b), Rudy Royston (dms), Lajos Kathy Orváth (vln, 3)

Label / Distribution : BMC Records

Friand de formations intégrant des jazzmen d’outre-Atlantique, le pianiste hongrois Béla Szakcsi Lakatos a multiplié ces dernières années les concerts en quartet uniquement entourés d’Américains. On compte ainsi parmi ses compagnons réguliers ou occasionnels des figures comme John Patitucci, Jack DeJohnette ou jadis Frank Zappa. Après un Live at Müpa capté en 2011 où il était notamment entouré de Chris Potter et Terry Lyne Carrington, c’est à un concert récent, enregistré au printemps 2014 en compagnie de musiciens de tradition plus classique, que nous convie le label BMC.

Ici, c’est face à une roborative base rythmique composée du batteur Rudy Royston et du contrebassiste Robert Hurst, remarquable de musicalité sur cette reprise de « Blue in Green » devenu le standard fétiche du pianiste, que Szakcsi se mesure. A ses côtés, le saxophoniste Tim Ries, que l’atmosphère chaleureuse du Concert Hall du Budapest Music Center doit changer des stades arpentés avec les Rolling Stones. Depuis son solo Live at Budapest Club, sans doute le plus abouti de sa période récente, on sait que ce collecteur insatiable du folklore tzigane est également un fin connaisseur de la musique écrite occidentale. Climate Change en est un exemple supplémentaire. Ses prises de paroles, rarement solistes, esquissent des couleurs et des sensations abstraites qui érodent la solidité anguleuse et quelque peu convenue d’un morceau comme « New World » et ses solos réglés à la pulsation près. En témoigne le sensible « New Beginning » où sa douceur semble à peine effleurer les cymbales de Royston.

C’est tout le propos de Climate Change et de son joli graphisme de pochette représentant une banquise en forme de piano à queue dont chaque touche s’effiloche. Sa capacité à modifier l’atmosphère en quelques notes est ici célébrée. Un gigantesque thermostat dont les 88 nuances de température habilement distillées trouvent avec « Fight Over Water - Dodechromatic » un formidable exutoire qui éclaire cet album. Pour ce morceau, le violoniste Lajos Kathy Orváth vient rejoindre le quartet et la première partie fait songer aux miniatures de Kurtág, un des compositeurs contemporains préférés de Szakcsi. En un geste la musique s’emballe, et sur le walking de Hurst, le propos se fait soudain rugueux et totalement redessiné sans qu’on ait pour autant un sentiment de rupture. Un quartet bien tempéré, en somme, dont on pourrait attendre plus de pics de chaleur, mais qui est certainement le climatiseur le moins polluant du moment.