Chronique

Benjamin Lackner

Last Decade

Benjamin Lackner (p), Mathias Eick (tr, voc), Jérôme Regard (b), Manu Katché (dm)

Label / Distribution : ECM

Le temps et l’espace sont comme happés par ce quartet qui engendre une approche contemporaine avec une musique qu’il faut écouter maintes fois pour en saisir les subtilités.

Benjamin Lackner réalise une œuvre où le dépouillement est mûrement réfléchi. S’agissant de son premier disque pour le label de Manfred Eicher, on pourrait s’attendre à ce qu’il s’inscrive dans une ligne esthétique prévisible, propre aux réalisations d’ECM. Ce n’est pas le cas : une mouvance féline s’installe d’emblée dans le quartet.
Ce pianiste très mélodieux a bénéficié de l’enseignement de Charlie Haden avant de voler de ses propres ailes. Son jeu pianistique évite les clichés ; il a d’emblée saisi l’intérêt de laisser respirer sa musique. Il est assez rare qu’un pianiste leader laisse autant de place à ses partenaires. Mathias Eick devient alors la voix soliste évidente. Il n’y a guère de comparaison possible avec l’album qu’il a récemment enregistré sous son nom, « When We Leave », où il y avait une linéarité dans le son de sa trompette. Ici apparaissent des aspérités bienvenues et son lyrisme s’affirme avec un timbre chaleureux. Manu Katché est surprenant : il donne la réplique avec des figures rythmiques appropriées et ne surjoue jamais. Son adaptation aux climats qui se succèdent est parfaite, la grosse caisse ponctuant le tempo de manière énergique. Mais c’est avec son jeu aux balais qu’il nous convainc le plus, audacieux et fin à la fois.

Le pivot est sans aucun doute Jérôme Regard : sa maturité artistique en fait un soliste puissant. Il vit pleinement la musique depuis son enfance, passée dans un superbe paysage jurassien et où son père Daniel, excellent guitariste, l’a bercé de notes. Le morceau qu’il a composé et qu’il interprète seul à la contrebasse, « Émile », est enthousiasmant. L’entente entre Jérôme Regard et Benjamin Lackner n’est pas anodine puisqu’elle remonte à 2006 ; leurs interactions se ressentent en particulier dans « Hung Up On That Ghost », « Remember This », et surtout dans « Camino Cielo » composition qui une fois entendue ne nous quitte plus, et pour cause : c’est une merveille !

Last Decade s’affirme de manière admirable comme une des pierres angulaires de 2023.