Scènes

Big Satan : live and devil à Toulouse

Big Satan au Théâtre du Pavé, le 18 février 2018, concert et captation.


Photo : Michel Laborde

Le dernier enregistrement de Big Satan remonte à 2006. Pas ou peu de dates en France depuis. Autant dire que l’attente était grande chez les adeptes du Grand Lucifer. Concert méphistophélique dans un Théâtre du Pavé à Toulouse plein à craquer où les trois musiciens sont à la hauteur de leur légende. S’ajoute à cela une captation donnant possiblement lieu à un disque. De quoi rendre cela diablement excitant.

La Baraque à Free fait l’ouverture de la soirée. Le groupe qui, le jour même, souffle sa première bougie (son premier concert fut douze mois en amont) réunit les jeunes pousses toulousaines. Cette baraque plaît. Quinze musiciens, des garçons, des filles, au milieu d’instruments souvent doublés. Deux guitares, deux sax, deux synthés, deux basses produisent une masse sonore quand le besoin s’en fait sentir. Et ce besoin est là. Plutôt que de présenter un travail de fin d’études appliqué et sans invention, cette bande investit des territoires bruyants qu’elle triture. Tour à tour, chef ou cheffe, le leader/la leadeuse est un adepte du soundpainting et crée la matière dans le moment. Les paires d’yeux des partenaires sont tout ouïe et la succession de tableaux fortement contrastés fonctionne. En dépit d’une naïveté de bon aloi et une verdeur dans l’enthousiasme, la mayonnaise prend. Warm-up parfait pour le groupe à suivre.

Après une pause, le trio est là. Figures incontournables de l’underground jazz depuis plusieurs années, formidables créateurs de vocabulaires nouveaux, les membres de Big Satan forment un trio rare, tendu, méchant et dense. Tim Berne, t-shirt ample, échevelé comme à son accoutumée et l’air de s’en moquer, est sans nul doute le maître de cérémonie de la formation. Unique en son genre, le son de saxophone alto, acide et pénétrant, ne lâche rien du discours et construit patiemment, avec une volonté que rien ne fait dévier de son projet, des compositions (les siennes, celles de Ducret, d’autres - Julius Hemphill particulièrement) qui gonflent et gagnent en grain comme en épaisseur jusqu’à des paroxysmes narratifs.

Accolée, le débordant ou le bousculant, la guitare de Marc Ducret est une profusion infinie de contre-propositions qui sèment la discorde dans les intentions du saxophoniste peu adepte, pourtant, d’académisme. Chaque phrase percute l’autre et lui brûle la priorité pour donner une sensation de vitesse et engendrer une masse d’informations débordant toute possibilité d’intellection intégrale. Place donc à la sensation. Ducret est accompagnateur, soliste, coloriste ou franc-tireur, le tout dans une mouvement permanent qui fait de la dualité de ces deux leaders anarcho-lyriques une des spécificités brûlantes de ce trio.

Tim Berne, photo Michel Laborde

Malgré une entame de concert qui déroute par le faible volume général dû à un jeu en acoustique et non sonorisé, la suite des événements n’a pu que séduire par son emportement maîtrisé, notamment grâce à un Tom Rainey tout bonnement magistral. Avec une expression de lassitude qui cache en réalité une concentration poussée, il propulse en permanence le combo sur le devant du propos et renouvelle ses constructions rythmiques sans jamais répéter quelque procédé que ce soit. Pulsation vénéneuse qui agite ses compagnons, il fixe également une ossature bancale associant grosse caisse et caisse claire dans un agencement surprenant et impose ainsi une forme de catastrophe sonore dans laquelle s’engouffrent Berne et Ducret pour le plaisir d’un public forcément ensorcelé.

Pentagramme contre phonogramme, on espère, en suppôts de Satan idolâtres, que ce concert, capté par les machines de Matthieu Metzger, verra le jour (ou la nuit : peu importe) sous forme d’enregistrement, histoire de revivre ce moment de magie noire au milieu des plus brûlantes flammes de l’enfer. I Think They Like It, Honey.