Entretien

Bill Stewart

rencontre avec un des batteurs les plus en vue de la scène new-yorkaise.

David Baker, ingénieur du son renommé dans le milieu du jazz, se souvient de ce jour de 1990 où, à la veille d’enregistrer pour le saxophoniste Maceo Parker, celui-ci n’avait toujours pas de batteur. Baker eut alors l’idée de l’emmener écouter ce prodigieux jeune batteur qu’il avait entendu dans un tout petit club de Manhattan. Ils se rendirent donc chez Augie’s où l’on pouvait entendre de jeunes groupes et où se retrouvaient jeunes musiciens et étudiants en musique. Quand Maceo Parker entra, il y eut un remous dans la foule, étonnée de voir cette célébrité parmi eux. Le groupe se mit à jouer. Il ne fallut pas plus de quatre mesures à Parker qui, se tournant vers Baker, dit “C’est lui. C’est mon batteur”.

Le batteur s’appelait Bill Stewart. Et dans la décennie qui suivit, Bill Stewart valida le jugement de Baker et de Parker, étant reconnu comme un des batteurs les plus musicaux et les plus imaginatifs de la scène actuelle.

Le fait qu’il joue constamment avec des leaders tels que Joe Lovano, John Scofield et Pat Metheny est impressionnant. Mais Bill Stewart est aussi un compositeur et dirige son propre groupe. Il a sorti trois albums sous son nom, où l’on retrouve entre autres les saxophonistesJoe Lovano, Steve Wilson et Seamus Blake, le contrebassiste Larry Grenadier et le pianiste Bill Carrothers. Comme le remarque justement David Baker, Stewart est un des rares batteurs capables de jouer du jazz et du rock avec la même facilité et la même conviction.

Nous avons rencontré Bill Stewart entre deux sets dans l’ancien Augie’s qui s’appelle maintenant Smoke.

- Si on commençait par le début ?

Je viens de Des Moines, Iowa. C’est là que j’ai grandi. C’est un nom français, non ? Mes parents sont musiciens. Mon père joue du trombne, du jazz et a ebseigné l’instruments dans des écoles. Ma mère est directrice de choeur et organise maintenant des festivals de choeurs aux Etats Unis.

- Comment as-tu commencé la musique et la batterie ?

Je pense pouvoir dire que la batterie a été mon premier instrument. Quand j’étais gosse, j’étais toujours dans la musique et quand j’ai eu cinq ou six ans, mon oncle m’a acheté une batterie en jouet. Elle n’était pas très solide, elle fut démolie en un jour. Mais mes parents virent que j’aimais ça et, comme mon père avait accès à différentes choses, il m’apporta une grosse caisse, un tom, une caisse claire et une cymbale de 12 pouces fêlée. Je devais avoir neuf ans quand mon père m’a acheté une vraie batterie. Je passais pas mal de temps à jouer avec les disques, surtout de jazz, parce que c’était ce qu’il y avait à la maison. De toute façon, c’était ce qui m’intéressait. Je n’ai pas vraiment grandi avec les mêmes musiques que celles qu’écoutaient les autres enfants de mon école.

- Percevais-tu que tu n’étais pas dans la norme avec ces goûts ?

J’étais parfaitement conscient d’être dans quelque chose qui n’intéressait pratiquement pas ceux de mon âge. Les seuls que je connaissais que ça intéressait étaient des adultes. Et en Iowa, il ne passait pas beaucoup de groupes. Ceux que j’entendais jouer en concert étaient mon père e ceux avec lesquels il jouait. Mais maintenant que j’y pense, j’étais plutôt solitaire étant gosse. Ca me convenait donc plutôt.

- Quelle a été ton éducation musicale en école ?

Après le lycée, j’ai passé un an à l’université du Nord Iowa où j’ai étudié la musique, le jeu en orchestre et où j’ai pris des leçons de percussion. L’année suivante, je suis allé au William Paterson College, non loin de New York, à Wayne dans le New Jersey. C’est ce qui m’a fait venir à New York, c’est là que j’ai commencé à rencontrer des musiciens à New York. Certains profs de William Paterson étaient des musiciens très renommés. A l’époque, Rufus Reid dirigeait le département jazz. Joe Lovano y enseignait aussi, ainsi qu’Harold Mabern et Dave Samuels.

- Est-ce là que tu as commencé le piano ? Parce que tu composes également.

En fait, j’ai commencé à m’intéresser à la composition à l’université du Nord Iowa où je suivias un cours de composition du 20ième siècle, à partir de Stravinsky. A Paterson, j’ai aussi étudié la composition avec Dave Samuels. Mais je n’ai vraiment commencé à composer que quelques années après être sorti d’école. Livré à moi-même, j’ai commencé à écrire plus.

- Comment composes-tu ? Au piano ?

Le plus souvent, j’écris au piano. Pas toujours, il m’arrive d’avoir une idée en marchant dans la rue. Mais tôt ou tard, je finis par me mettre au piano pour comprendre les intrications de ce que je veux coucher sur le papier. Je ne peux pas donner de concert au piano, mais pour ce dont j’ai besoin, ma technique au piano m’aide beaucoup.

- Est-ce après Paterson que tu as commencé à jouer ici ?

Même à Paterson, je jouais déjà. Peu après avoir obtenu mon diplôme, je suis allé vivre à Brooklyn, où je réside actuellement.

- Quels ont été les batteurs qui t’ont le plus influencé quand tu allais à l’école ?

Mes plus grandes influences sont Roy Haynes, Jack DeJohnette, Elvin Jones, Tony Williams, Ed Blackwell et Billy Higgins. Très tôt aussi et encore maintenant, des gens comme like Bernard Purdie.

- Les maîtres du groove, du funk.

Oui, tout ça. Quand j’étais très jeune, je jouais plus dans ce style que maintenant.

- Arrives tu à élaborer une synthèse de tous les styles dans lesquels tu joues actuellement ?

Mon jeu est profondément enraciné dans la tradition de jazz moderne en petit groupe qui est celle des musiciens que j’ai mentionnés. Mais certainement avec une oreille attentive à beaucoup de styles différents. Quoique j’intègre dans mon style, j’espère ça se fait naturellement. Je n’essaie pas consciemment d emélanger des choses différentes. John Scofield, avec qui j’ai beaucoup travaillé a dans son jeu également beaucoup d’influences. Ainsi même quand il joue du jazz moderne, tu entends des inluences de rock et de country. En jouant avec lui, certaines de ces influences ressortent.

- Quels sont les autres musiciens avec lesquels tu as aimé jouer et qui t’ont aidé à évoluer ?

Au début de ma carrière, j’ai joué avec Joe Lovano pendant deux ans et demi, de novembre 1990 à la fin de l’été 1993, dans un quartette régulier avec John Scofield. C’était le premier vrai orchestre régulier auquel j’appartenais. Puis j’ai joué avec John ensuite dans différents groupes. J’ai aussi fait partie de ce groupe avec Larry Goldings. On joue en trio depuis douze ans. En fait, on a commencé ici, avant ça s’appellait Augie’s, maintenant Smoke. La plupart de l’argent était gagné en faisant circuler le chapeau à la fin du concert. On a bouclé la boucle. Maintenant, ils demandent 20 dollars à l’entrée.

- Et ce soir où Maceo Parker est venu t’écouter ?

C’était presque surréaliste de rencontrer Maceo, j’avais devant moi ce type qui figurait sur tous les disques de James Brown. C’était une figure quasi mythique pour moi. Mais c’est un type qui a les pieds sur terre et qui est vraiment sympathique. Il m’a demandé de faire le disque et deux jours plus tard, j’enregistrais ce qui allait s’appeler “Roots Revisited.” J’ai beaucoup appris et c’était très excitant.

- Parlons de tes diques. Combien en as-tu sorti ?

Trois comme leader. Ils sont difficiles à trouver. Les deux plus récents, sortis chez Blue Note, “Telepathy” et “Snide Remarks,” sont malheureusement épuisés. L’autre est sorti plusieurs années avant sur un label japonais, Jazz City, il s’appelait “Think Before You Think.” Il vient d’être réédité sur la label américain Evidence.

- Des projets pour un prochain album ?

J’ai une idée de projet que je veux enregistrer, j’ai écrit quelques trucs. Il y a deux claviers et une batterie, mais je ne sais pas quand je vais le faire.

- D’un point de vue artistique, où va le jazz actuellement ?

Il semble aller partout. Je ne pense pas qu’on aille dans une direction particulière. Il y a beaucoup de relecture des styles antérieurs. Comme d’habitude, les maisons de disque veulent pouvoir mettre une étiquette sur ce qu’elles sortent. Il faut que ça rentre dans une catégorie préexistante afin qu’ils puissent le commercialiser. Cette part du métier est frustrante. Je ne vois pas beaucoup d’orchestres. Tout le monde et son frère sort un CD, mais il ne me semble pas que beaucoup d’orchestres se développent en tant que groupes. J’ai eu la chance d’avoir joué dans certains groupes qui sont restés ensemble pendant un moment, ce qui permet vraiment à chacun de développer un son personnel et un concept de jeu.

- Quelles sont tes expériences parisiennes ?

J’ai joué plusieurs fois au New Morning, récemment au Sunset, et j’ai aussi joué au Duc des Lombards, à La Villette et au JVC festival.

- Que penses-tu de la scène jazz française ?

Le public du jazz est très bon en France. Et je suis vraiment convaincu qu’ils perçoivent certaines subtilités dans la musique. Malheureusement, ici aux Etats Unis j’ai l’impression qu’il faut aller chercher le public à la petite cuillère en ce qui concerne la musique. En France, il y a une tradition de subtilité qui vient de la musique classique et ils apprécient l’art en général.

- Est-ce que c’est ce qui t’a poussé à apprendre le français ?

Oui. J’y vais doucement parce que je voyage beaucoup. Mon prof est à New York, je ne le vois donc pas aussi souvent que j’aimerais.