Chronique

Billy Hart

All Our Reasons

Mark Turner (ts), Ethan Iverson (p), Ben Street (b), Billy Hart (dm)

Label / Distribution : ECM

Quatre protagonistes unis par des liens multiples… Au gré de leurs parcours, souvent communs, parfois divergents, ne serait-ce qu’en raison de la génération qui sépare le pianiste Ethan Iverson du batteur Billy Hart. En raison aussi de leurs rencontres avec le guitariste Kurt Rosenwinkel, qui forme entre eux un trait d’union, voire une unité. En somme, ce qui les réunit malgré leurs origines diverses, c’est une certaine conception de la musique, faite d’intelligence, d’exigence affirmée, assurée, mesurée en tout point. A ces musiciens-là, rien n’échappe. Pourtant, à l’écoute de cet All Our Reasons enregistré en juin 2011, on peut se demander si ce n’est pas plutôt « l’esthétique ECM » qui, ici, s’est imposée à eux. Et là serait la difficulté.

Billy Hart est magistral. Comme toujours - est l’un des meilleurs batteurs de l’histoire du jazz. Parce qu’il est aussi subtil que coloriste à l’imagination sans fin et mélodiste aux rêves délicats. Parce qu’il fait partie de ces batteurs si rares à qui il faut peu de choses, peu de « mots », pourrait-on dire, pour tout dire, tout exprimer. Pianiste du trio The Bad Plus, Ethan Iverson se situe à sa façon dans la même veine. Fidèle à l’un de ses éminents modèles, l’excellent Fred Hersch, il façonne son univers avec une intelligence et une maîtrise de tous les instants. Quant à Ben Street, qui fut l’élève de Dave Holland, Buster Williams ou Miroslav Vitous, c’est un contrebassiste dont l’art consiste également dans l’affirmation assurée de la pulsation comme du chant, affirmation qui se déploie sans relâche, dans une démarche aussi discrète, presque modeste (si ce terme ne prêtait à confusion tant il y a de certitude chez ce musicien) que celle de Billy Hart.

Mark Turner possède sans doute toutes les qualités requises pour être le centre, le point d’équilibre d’une formation qui atteindrait alors la perfection. Mais ici, ce saxophoniste ténor au passé déjà superbe semble plus influencé par l’« ECM sound » que par sa référence avouée : Warne Marsh. On sait qu’il préfère jouer l’altissimo du ténor plutôt que ses notes sombres. Mais on croit plutôt entendre Jan Garbarek ou tout autre saxophoniste scandinave parmi ceux que Manfred Eicher met en avant dans sa production. On a ainsi – est-ce imputable à Turner lui-même, ou à la production ? – une musique de raisonnement, de cérébralité qui dégage parfois un ennui irrépressible ou nécessite une attention démesurée : ce n’est plus la musique qui vous saisit mais vous qui devez fournir un effort pour vous en emparer… sans jamais vraiment y parvenir.

C’est là un grand regret, car tous ces musiciens, Billy Hart le premier et Mark Turner pour sa très grande maîtrise, sont tous formidables. Et parce qu’All Our Reasons contient pourtant des moments magnifiques, telle l’introduction sur peaux frappées dans la douceur de « Songs For Balkis », qui inaugure le disque. Si « Ohnedaruth » est loin du « Giant Steps » dont il semble provenir, si « Nigeria » n’est peut-être pas tout à fait à la hauteur d’« Airegin », « Tolli’s Dance », mais surtout « Wasteland » ou « Imke’s March » sont des pièces superbes qui font d’autant plus regretter que d’autres soient convenues et d’un esthétisme appuyé.