Billy the King
Deux sorties récentes dont Billy Hart est le batteur étourdissant.
Billy Hart © Mario Borroni
Publiés par Jojo Records, les albums récents de la pianiste Mamiko Watanabe et du guitariste Yotam Silberstein bénéficient d’un point commun. Agé de quatre-vingt trois ans lors de ces deux enregistrements, Billy Hart en est le batteur étourdissant.
Partiellement éclipsé par une multitude de batteurs qui sillonnent l’histoire du jazz et de ses modes durant les années fastes de la fin du XXe siècle, Billy Hart a toujours bénéficié d’une grande admiration de la part des musicien·ne·s. Il a fait partie des formations de Stan Getz, d’Herbie Hancock et McCoy Tyner, sans oublier son amour de la soul music qui le voit se produire aux côtés de Sam and Dave et Otis Redding. Son nom est inscrit sur des albums édifiants, On the Corner ou Big Fun de Miles Davis, les nombreux disques du quartet Quest sans oublier l’imaginatif The Broader Picture qui le voit à la fois compositeur et batteur, accompagné par le WDR Big Band. Sa passion pour le jazz ainsi que son intransigeance artistique font de ce lui un artiste accompli.
La facilité avec laquelle Mamiko Watanabe passe du Big Band de Valery Ponomarev aux trios démontre son aptitude à se fondre dans des univers distincts. Aucune faute de goût chez cette pianiste influencée par Toshiko Akiyoshi et qui a accompagnée Tiger Okoshi ou Joe Lovano. Originaire de Fukuoka au Japon, Mamiko Watanabe vit à New-York et Being Guided By The Light est son cinquième album où elle apparait entourée par un casting de luxe, Santi Debriano et Billy Hart.
Guidée par la lumière comme le titre de l’album l’indique, la pianiste se révèle épatante, triturant les mélodies et rebondissant à son aise lors des interactions véloces de ses deux partenaires musicaux. Billy Hart tout d’abord qui par ses relances percussives déploie une frappe à la fois énergique et agile. Son art culmine avec ses frisés inventifs et ses impacts revigorants sur la caisse claire, comme dans « Atomic Space » composé par la pianiste. Santi Debriano envoute par son accompagnement solide et néanmoins inventif. Il sublime « The Peacocks », composé par Jimmy Rowles, avec son intervention à l’archet dans la droite ligne de Miroslav Vitous. Ce titre est ici traité avec une lenteur qui suggère la simplicité avec laquelle une musique atteint une corporalité délectable. Un moment de plénitude surgit avec le vieil air folklorique d’Henry Clay Work « My Grandfather’s Clock » où Mamiko Watanabe parsème un discours pianistique agrémenté de dissonances et de mouvements ondulatoires. La marque de fabrique de ce trio demeure la souplesse propulsée dans les nombreuses anticipations harmoniques.
Santi Debriano propose une version pour trio de sa composition coltranienne « Nigeria », l’improvisation frénétique qui y est déployée permet d’apprécier l’amplitude sonore du jeu à la batterie de Billy Hart, ses toms et cymbales énoncent une polyrythmie festive.
Un jeu de guitare d’une clarté stupéfiante doublé d’un placement rythmique idoine, Yotam Silberstein semble être le guitariste qui convient le mieux pour partager une longue page d’histoire du jazz en compagnie de Billy Hart. Le titre de l’album peut prêter à confusion, la musique proposée n’est pas essaimée de standards classiques mis à part « Stella By Starlight », « Never Let Me Go » et « If I Loved You », les autres morceaux se composent d’instrumentaux qui pour certains étaient tombés dans l’oubli.
La belle surprise de ce disque est l’apparition de George Coleman qui à quatre-vingt huit ans intervient avec célérité dans sa composition « Low Joe », un moment très boppisant du disque qui bénéficie d’un solo ingénieux de Billy Hart. La fraicheur dispensée par le saxophoniste, entré dans l’histoire par sa participation aux albums My Funny Valentine et Four and More de Miles Davis, est stupéfiante. Ses notes insufflées brillent par leur rapidité d’exécution et aboutissent à une grande fluidité. L’art de la ballade se développe dans « Never Let Me Go » où la guitare et le saxophone décollent majestueusement avec un zeste de mélancolie.
Fidèles à l’esprit musical cher à Kenny Burrell, des compositions chaleureuses mettent en valeur les mélodies latines, « Beija Flor » composée par Nelson Cavaquinho et réhaussée d’une intervention sensuelle de John Patitucci ainsi qu’« Eclypso » de Tommy Flanagan avec ses rythmes caribéens qui incorporent toute la science percussive de Billy Hart. Le swing distillé dans « Little Willie Leaps », écrit en 1947 par Miles Davis, se joue des difficultés et affirme la connexion du trio. La forte identité de Standards tient beaucoup aux prouesses des instrumentistes en quête d’harmonie.
Billy Hart arrive ici à transcender son art, son tempo limpide vise à l’essentiel et exprime l’évolution de son style qui est passé d’un phrasé asymétrique à l’abstraction pure, chaque note est soupesée et vise l’efficacité. Les innovations rythmiques dont il a fait preuve durant des décennies ressurgissent subtilement lors de ses improvisations rapides mais toujours chantantes.