Chronique

Binker & Moses

Feeding the Machine

Binker Golding (ss, ts), Moses Boyd (dms), Max Luthert (loops, elec).

Label / Distribution : Gearbox Records

Il est devenu assez courant d’évoquer depuis quelques années la « nouvelle scène londonienne », qu’on peut caractériser par sa capacité à hybrider le jazz avec la musique électronique, la musique africaine ou caribéenne et le hip-hop, tournant ainsi d’autres pages de son histoire par l’approfondissement de ses origines africaines et de ses rapports avec d’autres musiques afro-américaines. Binker Golding (saxophones) et Moses Boyd (batterie) font partie de cette génération bouillonnante et n’en sont pas à leur coup d’essai, tant s’en faut. On a pu les repérer depuis un petit bout de temps, notamment à la faveur de Dem Ones, leur premier album sorti en 2014. Feeding The Machine est leur cinquième rendez-vous discographique et ils ont, pour cette occasion, choisi la formule du trio en combinant leurs forces à celles de Max Luthert aux commandes de ses machines (échantillonneur, synthétiseur modulaire et électronique), histoire de transformer les sons acoustiques du saxophone et de la batterie et de faire évoluer celui du groupe sans faire appel à d’autres instrumentistes.

Enregistré au studio Real World de Peter Gabriel, Feeding The Machine est une incontestable réussite qui vient à point nommé démontrer la capacité du duo à assumer directement l’héritage des grands du jazz – la force de son propos est impressionnante et les jeux de Golding et Boyd sont dans la droite ligne de ceux, puissants et rageurs, d’un Joe Henderson ou d’un Elvin Jones, pour citer des références qu’ils ne pourront pas réfuter – tout en l’ancrant dans une esthétique beaucoup plus contemporaine, aux couleurs d’un ambient souvent haletant. Ces deux-là savent assurément instaurer un climat en déroulant de longues et majestueuses plages. On se rend compte très vite de l’ampleur du travail de modulation entrepris par Luthert, co-pilote d’un grand voyage vers un espace flottant et nocturne. Cette musique passe dans un seul souffle, sans pause, à l’instar des concerts donnés par les deux musiciens, parfois définis par la presse anglaise comme les « leaders de la révolution du jazz londonien ». À défaut de confirmer la véracité d’une affirmation assez définitive comme l’histoire de la musique nous en a souvent servi, ce disque radical et beau en même temps prouve à tout le moins l’existence Outre-Manche d’un passionnant laboratoire musical d’où émergent et grandissent des forces inédites dont il faut suivre les expérimentations de très près.