Chronique

Biréli Lagrène

Solo Suites

Biréli Lagrène (g, elb) + Zoé Lagrène (voc).

Label / Distribution : PeeWee !

Aussi étonnant que cela puisse paraître, Biréli Lagrène n’avait jamais tenté l’aventure en solitaire sur disque. Mais sa patience – une forme de sagesse sans doute, de la part d’un musicien dont le parcours commence dès sa plus tendre enfance en Alsace et le verra côtoyer les plus grands, à commencer par Stéphane Grappelli qui l’appellera sur scène quand il n’avait que treize ans – est aujourd’hui très largement récompensée avec un disque éclatant tout au long de ses dix-sept étapes.

Solo Suites, paru sur le label PeeWee !, frappe juste et fort et s’avère une véritable création, à des années-lumière d’un exercice de style ou d’une vaine démonstration de virtuosité. Si le guitariste fait appel à l’histoire du jazz en offrant une nouvelle vie à quelques standards qu’on pensait épuisés (« Nature Boy », « Caravan » ou bien « My Foolish Heart »), c’est aussi la sienne qu’il écrit ici en une succession de pages instinctives, couchées sur un parchemin musical témoignant d’une vérité toute particulière, celle de l’instant : « Je suis tellement concentré que je ne pense à rien… c’est ça qui est assez étrange, c’est que je ne pense pas du tout… ». Tous les grands musiciens vous le diront : dès lors qu’on pense, il est déjà trop tard. Il faut faire le vide en soi, laisser advenir la musique, toutes les musiques, se tenir prêt, attendre « la première phrase, la bonne note de départ qui donne la suite ». Ce que ne manque pas de rappeler Francis Marmande dans son très beau texte qu’on peut lire sur le livret du disque. La spontanéité de ces improvisations à haute teneur mélodique devient alors la source d’une beauté profonde et les notes qui coulent – telle l’eau claire d’un torrent paisible – semblent d’ores et déjà inaltérables.

La coda de cet album à consommer sans modération est rien moins que surprenante et bouleversante en même temps : Biréli Lagrène – cette fois guitariste mais aussi bassiste – convoque John Prine, l’un des plus grands songwriters américains, que Bruce Springsteen lui-même n’hésite pas à qualifier de « véritable trésor national », et fait appel pour l’occasion à sa fille Zoé au chant. Leur reprise de « Angel From Montgomery », dont la version originale figure sur le premier album de Prine en 1971, est un magnifique hommage rendu à ce musicien sans doute trop méconnu en France et qui fut emporté par le Covid très peu de temps après son ultime concert au Café de la Danse en février 2020. Merci pour lui et de façon plus générale, merci pour cette belle leçon de vie nommée Solo Suites.