Chronique

Bruno Heinen Sextet

Tierkreis

Bruno Heinen (p, music Boxes), Fulvio Sigurtà (tp), Tom Challenger (ts), James Allsopp (bcl), Andrea Di Biase (b), Jon Scott (dms)

Label / Distribution : Babel Label

Tout le monde n’a pas la chance d’avoir des parents qui ont travaillé avec Stockhausen. Tel pourrait être le sous-titre de Tierkreis, premier album en sextet du jeune pianiste Bruno Heinen, fils du violoncelliste Ulrich Heinen et de la violoniste Jacqueline Ross, qui ont en effet accompagné le maître allemand dans ses innovations et expériences au coeur des années 70. Tierkreis (les signes du zodiaque, en allemand) est d’ailleurs la relecture par un orchestre de jazz d’une pièce sérielle du compositeur, écrite à l’origine pour boîtes à musique. Des boîtes familières pour le jeune Heinen, puisque son père en possédait quelques-unes. On peut mesurer ici la naturelle fascination qu’elles ont pu opérer sur le pianiste en devenir.

Tierkreis fut très vite adapté, sous l’impulsion de Stockhausen lui-même, pour toutes sortes de formations. On se réfèrera notamment à une version célèbre que le trompettiste Markus Stockhausen, bien né lui aussi, enregistra pour trompette et orgue. En faire une lecture trempée dans une grammaire jazz n’a par ailleurs rien d’iconoclaste, tant le compositeur a toujours été concerné par toutes sortes d’approches improvisationnelles. Il représente d’ailleurs une influence majeure au sein de la musique improvisée - Anthony Braxton s’en réclame ouvertement, par exemple, et n’oublions pas qu’il a écrit une pièce pour Joëlle Léandre. Ce qui est nouveau, sans doute, c’est de le plonger dans un jazz plus sobre, le trio de base, qu’Heinen forme avec le batteur Jon Scott et le contrebassiste Andrea Di Biase, assurant une pulsation qui fait tanguer les structures mathématiques des morceaux. Le groove fiévreux martelé par le pianiste rend « Scorpio », notamment, quasi méconnaissable. Mais ces transformations démontrent avant tout la grande malléabilité de l’œuvre.

A l’écoute de « Libra » (la Balance), septième des douze signes (pour le pianiste, qui a enregistré ces treize morceaux en avril, la grande roue stellaire commence et s’achève avec « Aries », le Bélier), où la boîte à musique se frotte au jeu bâtisseur du batteur, on comprend que ce Tierkreis tient plus pour Heinen de l’objet transitionnel que de l’exploration profonde. Bien sûr, on entend sur « Pisces » (les Poissons) un jeu de timbres très subtil entre l’excellent clarinettiste anglais James Allsopp, véritable surprise de cet album - déjà entrevu avec l’excellent Barbacana, et le saxophoniste Tom Challenger ; c’est une prolongation très intéressante de l’original. Mais on peut regretter qu’hormis les trop rares moments où le sextet est confronté aux boîtes à musique originelles (notamment sur le fragile « Aquarius » - le Verseau), le propos soit corseté par une approche démonstrative un peu vaine, et dominé par une volonté de trop en dire.