C’était nul, mais c’était Miles.
Miles Davis & Friends - 10 juillet 1991, La Villette, Paris. Souvenirs en forme de compte rendu. Ou l’inverse.
Miles Davis & Friends
10 juillet 1991, La Villette, Paris
Miles Davis (tpt) ; Kenny Garrett (as) ; Bill Evans (ss) ; Wayne Shorter (ss) ; Jackie McLean (as) ; Steve Grossman (ts) ; Joe « Foley » McCreary (g) ; John McLaughlin (g) ; John Scofield (g) ; Deron Johnson (synth) ; Chick Corea (el-p) ; Josef Zawinul (synth) ; Herbie Hancock (synth) ; Richard Patterson (el-b) ; Dave Holland (b) ; Darryl Jones (el-b) ; Ricky Wellman (d) ; Al Foster (d)
On était sur des gradins, en extérieur, devant la Grande Halle dont la façade servait de fond de scène. Ce dont je me souviens le plus, étrangement, ce sont les peintures de Miles projetées sur ce fond de scène. Une sorte d’auto-décor pictural promotionnel. Je me souviens les avoir trouvées moches. J’avais 18 ans et j’étais ce qu’on est à 18 ans, un jeune con.
La musique m’est un peu passée par-dessus, car j’étais venu pour voir et entendre le trompettiste, mon idole absolue. Et il ne jouait guère.
Je veux dire pour Miles.
Miles a toujours eu tendance à peu jouer, mais là, entouré de quelques-uns de ses compagnons de route, il semblait absent. Souvent assis, caché derrière ses lunettes, torse nu dans un accoutrement chamarré, comme seules les années 80 ont osé en engendrer ; je ne reconnaissais pas mon héros.
Bien sûr, je savais où j’étais, j’en avais la pleine conscience et avec les deux amis qui m’accompagnaient on avait attendu ce moment avec beaucoup d’excitation. On avait même fumé avant le concert, pour faire comme les Cats, les grands (on était, en fait, carrément défoncés). Il s’agissait de son ultime tournée, il allait mourir deux mois plus tard. A l’annonce de sa mort, ce concert est devenu, d’un coup, mon concert favori parmi tous mes concerts.
Les musiciens invités venaient tour à tour sur scène pour jouer un solo, claquer la bise à Miles en feignant la surprise : Vous ici ? ça alors ! Je me souviens qu’Herbie Hancock avait samplé le son de la trompette de Miles sur son synthé et qu’il avait fait un solo avec. Miles joua la comédie, l’air faussement surpris et ils ont fait un duo ensemble. Tout le monde était fou dans le public. Je me souviens qu’il y avait beaucoup de synthétiseurs, de sons de « canards malades » plein le plateau, des chorus carrés et attendus, enfin rien de bien surprenant.
C’est ce jour aussi où j’ai découvert Kenny Garrett que j’ai trouvé excellent (il sauve une grande partie de la musique).
Tout le monde fait le boulot, ils sont là pour ça, mais cette réunion d’anciens combattants n’a rien d’excitant ni de valorisant. Aujourd’hui ce concert est en ligne et on y voit les ravages du temps, de l’électronique et de la colorimétrie. A ne pas mettre devant tous les yeux.
Par pure fantaisie, ce soir-là, j’ai récupéré une grande affiche 80x120 de ce concert, elle est toujours encadrée chez moi un quart de siècle plus tard. Ce concert, médiocre dans mon souvenir, décevant et constitué d’une succession de saynètes mal liées entre elles, est resté gravé à jamais. Aujourd’hui, vieux con quarantenaire, je peux seulement me dire que j’ai vu Miles en concert.
C’était nul, mais c’était Miles quoi.
Comme disait l’autre, si à quarante ans, t’as pas vu Miles en concert, t’as raté ta vie !