Chronique

CKRAFT

Epic Discordant Vision

Charles Kieny (acc, comp), Antoine Morisot (g), Marc Karapetian (elb), Théo Nguyen Duc Long (ts), William Bur (dms).

Label / Distribution : CKRAFTPROD / Inouïe Distribution

Ah ces jeunes, comment osent-ils ? Et pourquoi ? Est-il bien raisonnable de pousser ainsi le jazz dans ses ultimes retranchements en l’hybridant, à la manière de savants un peu fous sautillant de joie devant leurs paillasses, avec la forme sans doute la plus abrasive du rock, le métal ? Emmené par l’accordéoniste Charles Kieny – pour en savoir plus sur ce musicien polymorphe capable de jouer par ailleurs la carte du jazz de chambre entouré de deux violoncellistes, reportez-vous à l’entretien qu’il nous a accordé – le quintet CKRAFT fait le pari d’une telle greffe avec Epic Discordant Vision, un premier album aux allures de passage en force.

Le principe, sur le papier, est assez simple : prenez un power trio associant guitare, basse et batterie et conviez-le à délivrer des riffs rageurs à la puissance maximale. Les potentiomètres doivent aller dans le rouge, c’est impératif… Sur cette base profonde et terrestre, laissez le champ (ou le chant) libre à un saxophone aux accents parfois zorniens et à un accordéon d’un genre un peu particulier, qualifié d’augmenté. Muni de capteurs et d’électroaimants reliés à des synthétiseurs, celui-ci est en quelque sorte le chef d’orchestre de l’ensemble, capable de rivaliser s’il le faut avec ses partenaires ombrageux autant que d’élaborer des nappes à la manière d’un coloriste. L’ombre et la lumière, la pénombre et l’envol céleste, les accélérations et les instants suspendus, les coups de griffes et la mélodie. Et puisqu’il est question de mélodie, c’est le moment de rappeler que CKRAFT se fait fort de transfigurer des chants grégoriens, utilisés « comme un trait d’union entre les deux univers, jazz et métal ». C’est là, si l’on en croit le leader du groupe, « un matériau mélodique extrêmement puissant, qui a traversé les siècles et s’extrait aujourd’hui de son contexte religieux d’origine pour être associé à des éléments de culture populaire ». Cette précision n’est pas inutile tant l’identification d’une telle source est assez complexe au cœur du déferlement ainsi organisé par ce jeune combo.

En dix compositions assez courtes – les interventions solistes sont en règle générale concises – Epic Discordant Vision offre « une scène épique » qui dépeint « l’invraisemblable violence de l’Homme et de la nature », ce que traduit par ailleurs la pochette dont le visuel, dessiné par Olivier Laude, a fait l’objet d’une grande attention. Au petit jeu des influences musicales, on pourrait aller chercher aussi bien du côté des Meshuggah, Gojira ou Slipknot que d’expériences plus « fréquentables », telles celles de Guillaume Perret ou Vincent Peirani. Avant de se dire que CKRAFT a ce petit quelque chose bien à lui, sa singularité extrême, une part de folie dont on sait d’ores et déjà qu’elle lui octroie les moyens d’électriser le public, voire d’en rallier plusieurs à sa cause. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.