Chronique

Camille Secheppet

Les Poissons Rouges aussi font leur Traversée du Désert

Camille Secheppet (as, bs, harmonium)

Label / Distribution : Gigantonium

Enregistrer un disque en solo est une épreuve difficile. Une mise à nu qui constitue souvent une étape dans une vie de musicien. Une introspection parfois douloureuse qui peut accoucher des plus beaux disques mais qui peut parfois tourner en rond et s’apparenter à un long monologue boursouflé. Le solo de Camille Secheppet se classe, à n’en pas douter, dans la première catégorie. Artiste total, entier et touche à tout, le saxophoniste toulousain est aussi comédien, membre du Surnatural Orchestra et de la compagnie Présomption de Présences de la danseuse et chorégraphe Marie Desoubeaux.

Intitulé malicieusement Les Poissons Rouges aussi font leur Traversée du Désert, l’album a été enregistré, comme à la maison, à l’automne 2021, chez Lily, bistrot,centre culturel, bar à tapas et j’en passe à Germ-Louron, petit village de 36 habitants niché au cœur de la belle vallée du même nom au fin fond des Hautes Pyrénées. La musique y est authentique et artisanale, cuisinée sans chichi, après une longue maturation confinée.

Les morceaux sont regroupés en trois suites. Dans la première, Secheppet est à l’alto ; dans « Tendre » il commence par souffler une phrase insaisissable et hypnotique qui serpente sur les hauteurs de la portée, semblant se dérégler par instant (« La danse des Neutrinos ») ; le tempo s’accélère alors avant de s’immobiliser dans un jeu de clés et de cris (« Traverse »). La suite se termine sur la pièce « 4,5 milliards d’années » dans laquelle le temps s’étire, comme suspendu aux anches du saxophoniste. La danse n’est jamais très loin chez Secheppet. La transe non plus.

Pour la suite numéro deux il empoigne son baryton. D’un gros son, un peu râpeux et traînant, il entame un riff alangui. L’harmonium prend alors le relais dans de beaux accords rugueux, avant un final explosif et solaire dans lequel le saxophone brode une délicieuse ritournelle soutenu par le souffle puissant et éthéré de l’harmonium. On pense à Jonah Parzen Johnson ou à Mario Batkovic.

La troisième et dernière suite donne à entendre une musique dans laquelle le mystère rode et où l’émotion est palpable. On est happé par le sens de la narration de Camille Secheppet et par sa capacité à faire d’un tout petit rien, d’une note ou d’un souffle, un grand tout. Et quand Camille Secheppet invoque le fantôme de Jean-Sebastien Bach au détour d’ « Une chaconne », on est aux anges.

Hasard du calendrier, Aux anges est le titre du dernier et magnifique album de Sylvain Rifflet, auquel on pense souvent à l’écoute du jeu de saxophone de Secheppet tant ils partagent une même maîtrise technique, un même lyrisme exacerbé et une même humanité.

Avec ce premier album personnel, Camille Secheppet nous gratifie d’une musique lumineuse comme un soir d’été sur l’estive. Un vrai beau disque pour un superbe musicien.

par Julien Aunos // Publié le 24 avril 2022
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