Chronique

Camille Thouvenot Mettà Trio

Crésistance

Camille Thouvenot (p), Christophe Lincontang (b), Andy Barron (dms) + Audrey Podrini (design sonore).

Label / Distribution : Jinrikisha / Inouïe Distribution

Crésistance est un disque un peu différent, comme un journal intime dans lequel Camille Thouvenot consignerait ses élans personnels et une conviction profonde et douce à la fois, qui l’incite à penser que « la véritable résistance passe par la création », faisant ainsi écho à Stéphane Hessel et au CNR qui disaient « Créer c’est résister, résister c’est créer ». Et dans ce même carnet de bord, le pianiste accorde une place importante à ses proches, à leurs enfants, à celle qu’il aime. Une déclaration multiple dont les couleurs sont celles de sa propre musique mêlée à d’autres, sans que jamais n’affleure le sentiment d’une superposition artificielle ; des reprises très personnelles de standards ou de compositions signées par ses maîtres en jazz (tels Duke Ellington, Miles Davis ou John Coltrane). Chaque thème est aussi l’occasion de souligner de sa part l’importance des pianistes qui, par leur influence, ont contribué à forger un langage qui est le sien : Gerald Clayton, Herbie Hancock, Ahmad Jamal, Brad Mehldau, Esbjörn Svensson, Mario Stantchev ou Tigran Hamasyan. Tout ce qui se joue ici est fluide, semblant couler de source.

On connaissait Camille Thouvenot, notamment du fait de sa présence au sein du trio international Dreisam et deux albums (Source en 2014 et Up Stream en 2018) qui avaient permis de mettre en évidence sa personnalité aux côtés de « trois musiciens amoureux de la mélodie raffinée, des rythmes légers et subtils, entre ballades et thèmes virevoltants ».

Cette fois, c’est dans le cadre d’un autre trio que sa sensibilité – redisons le mot, il y a du raffinement chez ce musicien – trouve un exutoire dont on ne peut que souligner ici la force de séduction. La formation a pour nom Mettà, un mot qui symbolise l’harmonie, la douceur et la bienveillance dans la langue indo-européenne pāli et qui se conjugue en tous points avec l’idée « d’une résistance par la création et par un engagement pour la vie à travers des collectifs et des formes alternatives, par-delà toutes les barrières sociales, politiques ou religieuses ». Aux côtés de Camille Thouvenot, une cellule qui allie pulsion et multiplication des nuances tant rythmiques qu’harmoniques avec le contrebassiste Christophe Lincontang et le batteur Andy Barron.

Voilà donc un trio en état de joie, et même un peu plus puisque l’album fait l’objet d’un design sonore électro-acoustique mis en œuvre par un quatrième élément, la compagne du pianiste, Audrey Podrini. C’est là sans doute le petit supplément d’âme qui fait de Crésistance un disque dont on a plaisir à recueillir toutes les confidences. Elles puisent leurs sources aussi bien dans l’histoire fougueuse du jazz que dans l’intimité de la musique romantique. Cette adjonction, avec ces voix qui surgissent du passé, en fait un disque à la fois d’aujourd’hui, en prise avec la réalité du monde, mais jamais oublieux de ce qui en est la raison d’être : un hommage aux grands créateurs, ceux qui ont écrit l’histoire d’une musique tant aimée, et en même temps une proposition très personnelle, d’autres mots ajoutés au grand dictionnaire du jazz.