Scènes

Cappozzo à la carte au Petit Faucheux

Carte blanche à Jean-Luc Cappozzo au Petit Faucheux : trio puis sextet.


Jean-Luc Cappozzo, photo Christophe Charpenel

Figure tourangelle tout autant que nationale (voire internationale !), le trompettiste Jean-Luc Cappozzo se voit proposer une carte blanche par le Petit Faucheux le lundi 10 octobre. Il concocte pour l’occasion un double plateau complémentaire dans lequel un sextet s’enchâsse dans un trio et où une musique entièrement improvisée, jamais écrite et qui ne sera jamais rejouée, coule avec naturel.

Difficile de rendre compte d’une soirée dont il y aurait tant à dire. Restons-en aux faits. Jean-Luc Cappozzo, qu’on ne présente plus, réactive un trio pourtant majuscule mais qui a peu joué. Christine Wodrascka est au piano, Gerry Hemingway à la batterie. Le second a une carrière longue comme le bras, a joué avec Braxton, toute la galaxie des improvisateurs américains, ou encore Samuel Blaser depuis qu’il est installé en Suisse (écoutez Fourth Landscape, le quartet so blues avec Ducret). La seconde, elle, est plus discrète et ne devrait pas. Plus européenne, elle a joué avec Ramón López, Daunik Lazro, notamment ; et Cappozzo bien sûr. À eux trois ils forment 2è étage. En 2012, un disque paraît chez Relative Pitch Records avec pour titre Grey Matter. Rien de cérébral, pourtant, dans cette matière grise puisque tout y est spontané.

La musique est inventée dans l’instant. Ce soir comme à n’importe quel autre moment, rien n’est convenu. Ne pas s’attendre à des harmonies policées, des rythmiques cadrées : plutôt du hors-clous. Feulements de trompette, crachotements, grincements du piano, aplats, clusters tonitruants, frappes sur fûts et chocs surprenants de la batterie, tout est fait pour déjouer. Or, à force de déconstruire, on construit ailleurs et une forme naît, qui a sa langue propre et son vocabulaire. C’est une danse en réalité : on s’observe, on se tourne autour, on vient accrocher ses notes à celles de ses partenaires et tout finit par s’articuler. La batterie sensuelle a la pulsation à côté du cœur, elle bat comme un pouls. Le clavier, au départ discret, fait sonner cet instrument si bourgeois comme une force de la nature, un torrent de gravier. La trompette est géante et attentive.

Très vite, ils organisent les places de chacun et les font bouger dans une chorégraphie atypique. Et puisque tout est possible, ils finissent la première partie de ce concert par une trompette New-Orleans, qui n’en est pas réellement une mais l’évoque totalement - et ravit l’oreille.

Gerry Hemingway, photo Gérard Boisnel

Changement de plateau. Au trio s’ajoutent trois nouvelles personnalités : Géraldine Keller avait laissé un souvenir durable de son duo avec Jean-Luc Cappozzo (Air Prints, réécoutez, c’est toujours beau). Trop peu entendue, elle est cependant une des voix qui comptent. Alexandra Grimal a côtoyé le trompettiste notamment dans le Tentet de Joëlle Léandre. Le guitariste Jean-Sébastien Mariage, enfin, est un membre définitif de la formation minimaliste Hubbub, aussi discret que fondamental.

C’est d’abord le trio piano/ voix/ guitare qui débute avant d’être rejoint par les trois autres. On note l’hyper concentration. À l’affût de la moindre proposition à enrichir, vigilants à ne pas surcharger de trop d’effets inutiles, ils se connaissent mais n’ont jamais encore joué ensemble. Pourtant le sextet fonctionne comme un groupe. La voix souple et inventive de Keller plonge dans les cordes de ses partenaires avec clarté dans une entame en guise d’exposition des forces en présence.

Puis, advient ce qu’il advient comme souvent dans ces musiques lorsque cela fonctionne. Alexandra Grimal se lance dans un solo puissant et déclenche alors une paire piano/batterie bosselée et qui avance inexorablement. Sur le papier, ça n’aurait pas de sens. Dans le présent du concert, c’est une énergie incroyable, tellement nouvelle et unique que la musique qui suit ce moment est d’une cohésion magnifique. Sur les appuis d’une guitare bourdonnante, le cuivre de la trompette monte haut avant que le groupe, qui soigne sa sortie, ne se rejoigne sur un final en douceur et points de suspension. À suivre (on l’espère)