Scènes

Caron, Léandre & Perraud au Hangar 23

Après avoir chanté avec Laurent Dehors, puis ses « Petites Oreilles », Elise Caron offrait au Hangar 23 un concert avec deux figures de la musique improvisée hexagonale.


Quelques jours après avoir chanté pour la première fois avec Laurent Dehors, puis partagé sa semaine rouennaise entre son spectacle pour enfant Petites Oreilles et quelques rencontres dans ce conservatoire régional qu’elle fréquenta, Elise Caron offrait sur la belle salle du Hangar 23 un concert avec deux figures de la musique improvisée hexagonale. Un événement suffisamment rare sur ces rives-ci de la Seine pour profiter de la venue de la chanteuse et de ses deux convives, le percussionniste Edward Perraud et la contrebassiste Joëlle Léandre.

Un concentré d’humour ardent. Si l’on cherchait à résumer la réunion de ces trois fortes têtes, c’est ce qui viendrait en premier. De l’humour, les deux musiciennes volcaniques qui ceignent le mouvement permanent d’Edward Perraud en ont à revendre. Tous trois s’amusent visiblement et se connaissent par cœur. La complicité amusée née sur Bitter Sweets n’est plus à démontrer, et les autres affinités parlent d’elles-mêmes. Dès les premières secondes, alors que les éclairages de scène peinent encore à révéler les visages, le trio embraie, sans faux-semblant ni round d’observation, sur un propos dru où la contrebasse vient se frotter à la voix-instrument de la chanteuse. Dans cet espace à trois dimensions, il y a ces quatre cordes plus terriennes que jamais, et le propos aérien d’Elise Caron qui passe de la flûte au chant sans transition ni à-coups, quand elle ne joue pas à l’oiseau, quelques gouttes d’eau sur les lèvres.

Elise Caron, Edward Perraud © Franpi Barriaux

Au centre, le percussionniste se démène pour tendre des fils entre les deux extrémités : Edward Perraud joue avec la stridence du métal, frotte l’archet, change d’agrès au fil d’idées qui semblent foisonner et filer comme le sable entre les doigts. La profusion est étourdissante. Parfois, le trio fonctionne à front renversé. La voix profonde d’Elise Caron entonne quelque ballade dans un babil non répertorié pendant que Joëlle Léandre tutoie les aigus à l’archet. Dans ce nouveau biotope, Perraud trouve une sérénité précaire où l’urgence n’est jamais loin. La rencontre est intense, mais jamais acrimonieuse. Elle joue avec insouciance des mots et des attitudes, entre la fonction phatique des phrases égrainées par la chanteuse et les fulgurances verbales de la contrebassiste.

Elise Caron, Joëlle Léandre © Franpi Barriaux

C’est sur une parodie ironique de grands airs italiens à faire verdir n’importe quel abonné de l’opéra voisin que le trio trouve son point d’orgue. Tout en répétant à l’envi « E Pericoloso sporgersi » dans un déluge de cymbales, Elise Caron rejoint en catimini la contrebassiste pour un pas de danse faussement tragique. Leurs deux voix se mêlent alors, puissantes et pleines d’émotion, et tout finit dans un éclat de rire. De ceux qui égaient trop rarement les scènes rouennaises.