Chronique

Cédric Hanriot

French Stories

Cédric Hanriot (p, kb, Rhodes, org, prog), John Patitucci (elb), Terri Lyne Carrington (dms, voc), Benjamin Powell (vln), Patrick Owen (vlc), 2TH (voc).

Label / Distribution : Plus Loin Music / Abeille Musique

Nous avions rencontré Cédric Hanriot et son complice Bertrand Béruard voici près de quatre ans. Ils nous avaient raconté leur parcours et la fécondation in musica de leur enfant commun, le dénommé Frog’n’Stein, un batracien aux tentations électro-jazz qui avait finalement donné naissance à un premier disque réussi et attachant, Electrify My Soul.

Dans cette interview en date du mois de juin 2007, le pianiste compositeur lorrain nous faisait part de son enthousiasme après quelques mois au Berklee College of Music de Boston : « J’ai posé ma candidature à la bourse Fulbright, la plus prestigieuse aux Etats-Unis. Au départ elle est plutôt destinée aux polytechniciens, aux chercheurs ou aux étudiants de Sciences-Po mais pour les musiciens, c’est la seule qu’on puisse encore prétendre avoir. Elle permet de faire au minimum deux semestres d’études là-bas. (…) J’ai consulté toutes les écoles, il y avait Berklee, où des professeurs m’intéressaient - comme Danilo Perez. Je l’avais rencontré il y a un an avec Wayne Shorter, il a pris le temps d’écouter ce que je faisais, on a eu un bon contact et j’ai décidé d’aller là-bas, étudier avec lui. J’ai la chance de faire partie des quatre élèves à qui il donne des cours ».

Et voilà qu’en 2010, Cédric Hanriot revient fièrement de son voyage initiatique aux Etats-Unis avec, sous le bras, ses French Stories. S’il n’est en rien la suite d’Electrify My Soul (Beruard n’est d’ailleurs pas de la partie) ce disque tout aussi réjouissant en constitue une évolution naturelle car on leur trouve bien des points de jonction : la revendication d’un jazz qui aime à se parer de couleurs funk (« Louisiana »), des arrangements chatoyants, illuminés de cordes et de sons synthétiques et qui trahissent un véritable amour des mélodies populaires. Celles-ci accueillent la voix évanescente d’un vieux complice, 2TH (surnom désignant probablement un certain Matthieu…), et bien sûr s’immiscent çà et là des glissements progressifs vers les climats chaloupés d’un r’n’b volontiers électronique (« Your Sweetness »).

Héritière des maîtres, la musique n’en est pas moins ici ancrée dans une démarche résolument contemporaine. On ne s’étonnera guère que Cédric Hanriot dédie ses « histoires françaises » à l’instant présent : avec lui, le temps paraît filer à la vitesse de l’éclair ; en effet, treize ans seulement séparent ce nouveau chapitre de ses toutes premières armes musicales [1] ! De cette incomparable source d’expériences made in USA [2] il rapporte à pas de géant un disque d’une stimulante spontanéité, enregistré en août 2009 avec John Patitucci et Terri Lyne Carrington « par une belle journée ensoleillée ». Sacrée carte de visite qui en dit long sur ses qualités. D’ailleurs, la batteuse ne tarit pas d’éloges sur lui : « Cédric est l’un des musiciens les plus talentueux que je connaisse. C’est ahurissant de voir tout ce qu’il a accompli en si peu de temps. Il est appelé à faire de grandes choses… ».

Après un tel baptême, on pourrait craindre qu’il subisse une pression paralysante ; or, à l’écoute de French Stories, on comprend que, loin de s’égarer dans un projet formaté à l’école américaine où sa personnalité inventive aurait pu passer au second plan, loin de se réfugier dans le confort d’une technicité trop affirmée, en créateur exigeant et soucieux de la pertinence de son propos, Henriot ose l’alchimie vivifiante d’un jazz composite et résolument urbain. Une musique tonique et percutante, mais aussi volontiers charmeuse – en témoignent ses relectures très singulières des quatre chansons françaises, ici transfigurées, qui occupent une place centrale dans l’album : « La chanson des vieux amants » (Brel), « Le jazz et la java » (Nougaro), un « Hymne à l’amour » (Piaf) donnant lieu à un envoûtant échange entre une voix qui susurre et déclame et un piano recueilli dans un classicisme romantique… Plus inattendue, « Que Marianne était jolie » de Michel Delpech, relecture ludique à l’intérêt inversement proportionnel à celui de la bluette originale. Cordes et piano dialoguent en toute élégance avant de laisser la place à un talk over joyeux signé 2TH, qui semble nous interpeller avec un mégaphone, comme s’il accompagnait l’héroïne d’un jour dans les rues de Paris et voulait nous communiquer sa joie d’être à ses côtés. Surprenant et malicieux.

Enfin, pour ne pas se faire taxer de partialité patriote, on n’oubliera pas de mentionner que les deux « pointures » internationales, Patitucci et Carrington, assument leur rôle de professionnels accomplis en fournissant au pianiste un terrain d’expression confortable. Ils ont le talent de ne pas écraser ces French Stories qui, ainsi narrées, illustrent avec enthousiasme l’aventure musicale d’un jeune artiste aux multiples facettes – pianiste, compositeur, arrangeur, sound designer, producteur – dont on devrait reparler.

par Denis Desassis // Publié le 2 mai 2011

[1Hanriot a commencé le piano à vingt ans, après des études d’électronique.

[2Qui lui aura permis de travailler, entre autres, avec Me’shell Ndegeocello, Dee Dee Bridgewater, Joe Lovano, Cindy Blackman et Danilo Perez.