Scènes

Ceramic Dog : we’re still here

Retour sur le concert de Ceramic Dog, Pannonica-salle Paul Fort, Nantes.
Photo Michael Parque


Ceramic Dog, mené par le guitariste Marc Ribot, défend sur scène un nouvel album le long d’une tournée qui traverse l’Europe et un peu les Etats-Unis, qui débutait sur notre continent le 20 avril à Nantes. Le trio a rempli une bonne part de la Salle Paul Fort située au-dessus du Pannonica. Mises en appétit en ouverture par No Noise No Reduction, les oreilles du public en ont pris plein les mirettes dans ce style freejazzpunkhardcorenoisy que le Chien en Céramique maîtrise parfaitement.

D’abord, donc, No Noise No Reduction sur le premier plateau. Trois Toulousains investissent la scène, armés d’un saxophone baryton et de deux saxophones basses. Croisant le faisceau de leur sonorité, l’alliage des timbres graves fait aussitôt trembler les murs. Issu du mouvement alternatif (qu’il soit rock ou jazz), NNNR, dans un autre programme, s’attaque également à Sonic Youth (Kill Your Idols, Hommage à Sonic Youth) : c’est dire leur attachement à une certaine forme d’exaltation du son dans sa dimension sculpturale. Pas le foutoir pour autant : les deux basses, en effet, laminent le sol de réitérations éloquentes qui neutralisent toute échappatoire et permettent au baryton (qui, comprenons bien, est la partie aiguë du trio !) de proposer une évacuation par le haut à coup de lacérations ascensionnelles qui parachèvent d’un flambeau brûlant cet assemblage d’acier et de souffle.

Comme réinvestissant leur corps, voire semblant reprendre leurs esprits entre chaque titre, les bassistes Marc Maffiolo et Florian Nastorg ont une attitude réservée qui contraste avec le volume fourni. L’humour en politesse, ils semblent presque s’excuser de faire trop de bruit. Ce n’est qu’une apparence, ils sont un socle solide lorsqu’ils mettent à nouveau leur bec en bouche. Marc Démereau, quant à lui, au baryton interprète à la voix un texte savoureusement érotique tirée d’une poésie de Ronsard qui donne plus de chair encore à ce trio déjà physique. Au Doux Combat Me Joindre, élu Citizen Jazz, témoigne de cela. No Noise No Reduction, la plus belle invention après la bombe atomique.

No Noise No Reduction, photo Michael Parque

Difficile de redescendre durant le changement de plateau, d’autant que Marc Ribot et ses sbires investissent la scène et y installent aussitôt un remue-ménage féroce sans aucun tour de chauffe ni salutation. Directement au cœur du problème. Ches Smith frappe les peaux comme si sa vie en dépendait, assourdissant dans la seconde la salle entière. Positionnée au dessus du set de batterie, une des cymbales l’oblige à dresser le bras pour l’atteindre, ce qui dans le tumulte produit alors un effet visuel aussi saisissant que la musique. Il envoie même très haut une baguette brisée qui lui échappe des mains. Marc Ribot, les yeux fatigués, à la fois ailleurs et au fond des choses, est penché sur sa guitare. Il se promène sur son manche avec vélocité, dans un style rock assumé ouvert à tous les vents (qui évacue de notre mémoire les musiques délicates qu’il peut également jouer). Guitar Hero, chanteur punk, prêcheur, il joue avec obstination et proclame sa colère contre ce monde idiot.

Pour qui a écouté le nouveau disque YRU Still Here ? paru chez Northern Spy (comme le précédent Your Turn, 2013), les compositions sont des protest songs, celles de Woody Guthrie, maître du genre, mais propulsées dans l’après-vague punk 1977. Hautement électrifiées, sur scène, elles rappellent plutôt le premier disque Party Intellectual (sorti en 2008 chez Pi Recordings). Le jeu est un cri, un exutoire plus qu’une provocation. Shahzad Ismaily à la base électrique, vêtu d’une combinaison informe qu’il retire peu à peu, pieds et torse nus, longiligne, est le charbon incandescent qui réactive le feu en permanence. Impassible et concentré, il traverse avec ses compagnons une variété de genres (funk froid, reggae abîmé, mariachi dégingandé) et donne surtout le sentiment au public d’assister à une jam session organique.

Anecdote révélatrice, lors des balances l’après midi, alors que n’importe quel groupe français pinaille à n’en plus finir pour obtenir de l’ingénieur du son un peu plus de ci dans les retours, un peu moins de ça, les trois New-Yorkais jouent, jouent à n’en plus pouvoir et au bout d’un certain temps se tournent vers la console “c’est bon pour toi ? C’est bon pour nous alors”. Autre approche, autre pratique. Hardcore music first.

Ches Smith, photo Michael Parque