Chronique

Chamber 4

Live at Ler Devagar

Luis Vicente (tp), Théo Ceccaldi (vln, vla), Valentin Ceccaldi (cello), Marcelo dos Reis (g)

Label / Distribution : FMR-Records

Les sorties de disques rendent la tâche de l’amateur de musique assez proche de celle du détective. Repérer si telle galette a été mise en boîte avant telle autre. Imaginer l’influence d’une rencontre sur la création en devenir... Les durées infinies qui courent du passage devant les micros à la mise en pochette compliquent les choses ; surtout lorsqu’il s’agit d’enregistreurs compulsifs. Avec Clocks and Clouds, le trompettiste lusitanien Luis Vicente titrait à merveille sur le problème : le temps file toujours entre les doigts des créateurs. Quant aux nuages, il n’en est pas question dans sa relation avec Théo Ceccaldi aux violons et Valentin Ceccaldi au violoncelle. Depuis le récent Deux Maisons paru chez Clean Feed, on avait pu constater que leur entente est une terrasse dégagée, avec vue plongeante sur la côte Est.

Chamber 4, où s’agrège le guitariste d’Open Field Marcelo dos Reis, en est la juste confirmation. « Timber Bells », où Théo flotte sur les doux tintinnabulis de Valentin pendant qu’un souffle cuivré se faufile à pas comptés, en est la parfaite expression. La captation de ce disque précède de quelques jours celle de Deux Maisons : voici donc les fondations. Le rôle de Dos Reis est digne d’un géomètre. Son instrument claque comme une percussion sèche. Il tire au cordeau des lignes directrices que ses compagnons s’empressent de mettre en perspective. Les frères Ceccaldi ont l’habitude de se mêler au jeu d’un guitariste, mais celui de Dos Reis est différent de celui d’Aknine, plus fédérateur. Ici, les six cordes sont des accélérateurs de particules qui viennent pousser la cohésion du groupe dans ses derniers retranchements (« Some Trees », où Dos Reis n’est que craquements au cœur d’une concorde d’embouchure et d’archets).

Le propos chambriste de Chamber 4 est indéniable. Mais cette chambre est salement dérangée. C’est ce qu’on ressent au premier abord, lorsque le quartet joue des coudes, s’entrechoque, voire s’invective dans l’urgence de « Green Leafs ». Pourtant, le cuivre et le violon organisent très vite un propos façonné pour offrir de l’harmonie à cette apparence de chaos. Mais il peut se briser net. Ainsi, l’échange gonflé de lyrisme de l’alto et de la trompette vrombissante de « Wooden Floor », sans doute le sommet de l’album, s’éteint comme on souffle une bougie, pour laisser la place à un dialogue pointilliste et presque souterrain entre l’autre paire de l’orchestre. Ce Live at Ler Devagar, première rencontre de Vicente avec les Ceccaldi, est certainement son témoignage le plus abouti. Depuis, il s’est acoquiné avec des membres du Tricollectif, comme le pianiste Roberto Negro dans le quintet WAS ?... Doux paradoxe temporel des sorties de disque décalées !