Sur la platine

Charlotte Hug, musique dessinée

Portrait d’une artiste aux talents pluridisciplinaires : altiste, cheffe d’orchestre, chanteuse, plasticienne…


Artiste complexe aux talents pluridisciplinaires, la compositrice Charlotte Hug pourrait faire collection d’adjectifs qualificatifs : altiste, cheffe d’orchestre, chanteuse, plasticienne… Elle serait également en droit de se réclamer de plusieurs styles musicaux, aux confins de chacun d’entre eux : musique improvisée, écriture contemporaine, performance artistique, dispositif d’art vidéo…

Le passionnant label polonais Słuchaj Fundacja, qu’on a vu souvent défendre des artistes comme les frères Oleś, Barry Guy ou Agustí Fernández, dévoile, en deux albums parus récemment, un bien intéressant point de vue sur l’œuvre de l’artiste suisse, venue de Lucerne comme bon nombre de ses compatriotes.

Son-Icon Music est un projet ambitieux mené par Charlotte Hug avec l’orchestre du Lucerne Festival Academy, avec qui Andreas Schaerer a déjà travaillé. Très marquée par le London Improvisers Orchestra, on perçoit chez Hug une forte influence de la Seconde École de Vienne, notamment dans l’usage des vents, extrêmement profond. « Nachtplasmen », capté en 2011, est touffu et soigne les moindres détails. Inspiré des dessins de la compositrice, projetés comme s’il s’agissait de véritables partitions graphiques, les trois parties de la pièce restituent le grain, le mouvement et le relief des œuvres. Les langages créés sur l’instant déchaînent les possibles ou s’ancrent sur des petits motifs répétitifs, comme autant de menus détails.

« Inn Camino », le second morceau, est différent, même si le procédé est identique. Enregistré en 2013 avec le Via Nova Choir de Munich, il est plus court, ramassé et ainsi puissant. Également vocaliste, elle est en terrain connu. On sent une communion très forte avec l’orchestre, à moins que ce soit une naturelle évolution de l’approche développée avec ses musiciens et conséquemment une maîtrise affirmée du langage. De quoi capter l’attention de l’auditeur exigeant.

Comme une rupture, Fulguratio est une corde à l’arc de Charlotte Hug, qu’on retrouve ici au violon alto. Un choix instrumental qui va bien avec son univers, à la fois sombre, mystérieux et très chaleureux. Ce disque est un duo avec le percussionniste Lucas Niggli où Hug donne également de la voix. L’heure est à une certaine spontanéité qui évoque une musique primale, proche des éléments, et convoque une forme de mysticisme. Les titres en latin de chacun des morceaux laisse une sensation de vieilles croyances, voire d’alchimies plus ou moins noires (« Rumbrum Spiritus », certainement le summum de ce disque).

L’alliance avec Niggli est naturelle ; elle s’inscrit dans ce que l’altiste avait pu déjà développer avec le violoncelliste Fred Lonberg-Holm. Sur l’ensemble de ce disque, Niggli fait montre de sa grande musicalité et pousse Hug à s’abandonner parfois jusqu’à la transe (« Lacunosus »). On pense à ce que récemment Gerry Hemingway avait pu proposer avec Sarah Weaver. Les batteurs de jazz écrivent une nouvelle page musicale avec l’avant-garde des compositrices mondiales. Des aventures très excitantes.