Chronique

Charmasson, Jaume, Gress & Rainey

Fly, Baby, Fly !

Rémi Charmasson (g), André Jaume (ts, ss, bcl), Drew Gress (b), Tom Rainey (dms)

Label / Distribution : Ajmi Series

Pareils à des trous de serrure, les duos qui émaillent Fly, Baby, Fly ! permettent d’épier, dans un format ne laissant place ni à l’erreur ni à la facilité, la qualité d’écoute, d’interaction et d’empathie qui régit les échanges entres les membres de ce quartet. Ces miniatures improvisées, autant d’interludes dans la construction du disque, donnent naissance à ce qui pourrait finalement être considéré comme une liste d’ingrédients. La guitare de Rémi Charmasson se confronte, dans des rapports engagés, aux frappes puissantes de Tom Rainey, mais se love ensuite contre la contrebasse de Drew Gress dans une recherche fructueuse d’alliance de timbres. Son chant se mêle à celui du saxophone d’André Jaume pour un subtil jeu de contrepoints. Rainey se montre moins virulent lorsqu’il confie la percussion à la clarinette basse tandis qu’il joue une mélodie sur ses toms. Plus loin, il écrit dans l’instant avec son complice américain une courte construction étonnamment narrative. Le contrebassiste fait à deux reprises montre d’un lyrisme délicat en mettant d’abord en place une conversation reposée et nocturne avec la clarinette basse, puis en explorant avec la flûte des contrées oniriques. Percussions, chant, travail des matières et des couleurs, abstraction, tensions et cheminements harmoniques sont autant d’éléments qui sont mariés, alternés ou juxtaposés au sein des compositions que ces saynètes entourent.

Avec les huit morceaux en question s’ouvrent en grand les portes du jeu collectif. Les thèmes sont à ranger parmi ceux qu’on retient qu’on le veuille ou non, avec des ambiances très différentes qui suivent les directions précédemment citées. On y entend de la douceur et des propos tempétueux, des phrases anguleuses tout en courbes élégantes. Les accointances qu’entretient le guitariste avec le rock et les musiques binaires (récemment mises en lumière par son disque consacré à Jimi Hendrix, The Wind Cries Jimi, ou par les nuages saturés du Ways Out de Claude Tchamitchian) s’affichent ici à travers l’interprétation d’un blues dégingandé signé Gérard Marais (« Cassavetes »), d’un « White Horses » très mélodique dont les premières mesures font un peu penser à The Police, ou encore par une alternance de décharges électriques et d’accords funk sur « Rock Me ». Il ne s’agit évidemment que d’influences, et la musique retrouve toujours, dans le respect de ces partis pris esthétiques, le chemin d’un jazz contemporain où priment l’écoute mutuelle et l’architecture instantanée. A ce petit jeu, le quartet excelle, lui qui sur le papier ressemble davantage à un double binôme. En effet, Charmasson et Jaume se fréquentent depuis de nombreuses années, tandis que Gress et Rainey forment un solide tandem rythmique outre-Atlantique, ce qui les a amenés à jouer et enregistrer avec des artistes aussi exigeants que Tony Malaby, Tim Berne, Fred Hersch ou Angelica Sanchez. La musique circule pourtant de manière multidirectionnelle, jusqu’à s’élever à un haut niveau de souplesse et de réactivité. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les cascades de notes nerveuses et le jeu tendu de « Sans histoire », les élans fougueux d’« Oubliés » ou, dans un registre plus doux et intimiste, le formidable travail de percussionniste de Rainey sur « Fumaccia », magnifique titre épuré bercé par une phrase inlassablement répétée à la clarinette basse par Jaume. Avant un ultime et délicat dialogue avec son complice saxophoniste, Charmasson s’efface et confie à ses compagnons « The Naked Truth », très beau moment qui mène avec poésie cet album à son terme.

Il aura fallu attendre neuf ans pour que ce disque remarquable sorte des tiroirs de l’excellent label AJMI. Mais il aurait tout aussi bien pu être enregistré hier. Et sera toujours aussi frais demain.