Chronique

Charolles / Nicols / Chevallier

Magique

Denis Charolles (dms, perc, objets), Maggie Nicols (voc), David Chevallier (g, banjo)

Label / Distribution : Jazzdor Series

Magique. Pour sa deuxième sortie, le jeune label du festival européen Jazzdor a convoqué trois enchanteurs pour faire vibrer un chaudron crépitant, celui du Kesselhaus de Berlin. La formule est inédite, mais elle s’impose d’emblée comme un des ces sorts antiques retrouvés parmi des runes à demi effacées. D’un côté, deux sorciers en provenance du creuset rouennais, le guitariste David Chevallier et le percussionniste Denis Charolles. De l’autre, un deuxième tiers des Diaboliques ; après le premier disque des Jazzdor Series consacré à Joëlle Léandre, la chanteuse Maggie Nicols vient pimenter la potion brûlante de ces deux pyromanes, complices de longue date.

Tout commence par une incantation dans une langue étrange, presque inquiétante, débitée en sprechgesang sur un banjo bondissant. Le charme opère immédiatement. De cette country music claudicante s’extrait une version mutante du « Times They’re A Changin’ » de Dylan où une slide guitar posée à même la batterie s’ajoute au banjo. Modèle déposé par l’inventeur Charolles, qui multiplie les tours et les manipulations d’objets, quand il ne joue pas du trombone, pour donner du relief à la voix rocailleuse de Nicols. Celle-ci s’amuse de ce mouvement perpétuel entre les univers et les souvenirs des solistes. Ainsi, après un « Dynamite Dream » écrit - et susurré - par elle et accompagné par la danse fragile de la guitare sèche, le trio s’engage dans les « Philistins » de Brassens, qui invoquent les Étrangers familiers. Le délicieux accent britannique de Maggie Nicols semble naître de l’entrechoquement de pierrailles de Charolles, qui la double d’un grondement caustique. C’est incontestablement le sommet poétique de cette rencontre ; mais loin d’être le seul grand moment, en témoigne « To C From C », signé du guitariste.

Chaque titre jaillissant de ce concert est un paysage miniature délimité par le trio. Comme Chevallier avec son Is That Pop Music ?!?, qui investissait la pop culture, les comparses sautent d’une chanson à l’autre pour mieux faire table rase ou n’en garder que quelques agrégats : une soul fiévreuse et urgente au cœur du « I’ve Been Loving You Too Long » d’Otis Redding où le timbre rauque de la guitare tire de la trachée de Nicols le fantôme fugace de Janis Joplin. C’est dans la longue reprise de « Superstition », hymne interplanétaire de Stevie Wonder, que la magie produit son effet le plus détonnant. Le résultat, abrasif et serpentin, permet à chaque soliste de s’approprier le morceau à tour de rôle, et ce un solide sens de l’humour. L’approche coloriste du thème par Charolles retient quelque temps la rage de Chevallier, mais les cris et les chants de gorge ne font que tendre un peu plus l’atmosphère. En un riff tonitruant, le guitariste rappelle que cette version-ci doit tout autant à Jeff Beck qu’à l’original. Le morceau est là, entier, mais éparpillé façon puzzle et remonté au gré de sentences ésotériques. Une potion de l’instant à déguster sans philtre.