Charolles à ouïr, alors oyez !
Le batteur aux mille combinaisons
On l’attend facétieux, il est émouvant. On le pense brouillon, il est minutieux. On l’imagine
sédentaire, il parcourt le monde. Heureusement, il ne paraît pas intolérant, car il ne l’est pas.
Denis Charolles, c’est aussi et surtout un batteur. Remarquable au premier coup d’oeil dans sa
chemise à frou-frou et son gilet de gentilhomme débraillé, petites lunettes rondes, on dirait Marat,
il venir tout droit d’un film de cape et d’épée dirigé par Groucho Marx. Installé derrière sa batterie,
il nous présente l’instrument. Il insiste pour qu’on ne pense pas qu’elle soit différente des autres.
Et pourtant…
De la batterie classique, elle a la forme et le squelette ; grosse caisse, toms, caisse claires et
cymbales. Mais, la plupart des éléments présentent des caractéristiques particulières. Des
morceaux de ferrailles, du papier à bulle sur les cymbales, par ailleurs fendues, des couvercles de
casserole, des pots, des seaux, des pièces de métal à faire sonner, du gravier à remuer, du papier
à froisser, des colifichets, des gris-gris, un trombone, un arrosoir, que sais-je encore…
- Votre batterie n’est vraiment pas comme les autres.
- Mais si, elle est comme les autres !
Ca commence bien.
Puis sérieux, il explique le rôle du son pour l’émotion. Dans ce contexte, il recherche d’avantage à
obtenir un son précis, adapter à la situation musicale. Il apparente alors sa batterie à une
sculpture, en référence à Jean Tingeli et à son Cyclope. Il revient alors sur l’histoire de la batterie,
particulière au sens où cet instrument est né dans le jazz, par et pour le jazz, fruit d’une
accumulation successive d’éléments de percussions différents réunis et joués par une même
personne. Jazz, accumulation, éléments, différents… nous y sommes. - Chacun de ces éléments à une histoire que je connais.
Et mystique avec ça ! Puis il joue de l’arrosoir (technique du Ney) et du trombone.
Utilise-t-il
tout à chaque concert ? Non, il aime avoir le choix, mais laisse aussi le hasard guider sa main
autour de lui pour attraper n’importe lequel des éléments. Il trône ainsi au milieu d’un
amoncellement de bruit possible. Arrive la poésie. En effet, il joue avec les sons et le poète joue
avec les mots. Il se tourne de plus en plus vers le texte, la chanson. Les sons ne suffisent plus. La
poésie joue un rôle important pour lui et ses complices (Christophe Monniot, La campagnie des
musiques à ouïr). Ils ont d’ailleurs fait une résidence à Soweto, dans les ghettos, avec des
plasticiens, des poètes et des danseurs. Un grand souvenir.
Soudain, ce n’est plus le Fanfan-la-Tulipe d’opérette, mais l’artiste investi, convaincu, qui remet en
question ses principes, cherche, questionne et trouve. Soweto, dernier endroit sur terre où faire
l’imbécile. La Campagnie des musiques à Ouïr tiendrait-elle un secret occulte ? Il parle de création,
de musique. - Il y a de la musique partout, et dans la musique il y a autre chose.
Il y a dix ans, il part en tournée aux U.S.A. avec Little Bob pour enregistrer un disque, son premier.
Il en revient enchanté et propriétaire de sa batterie Gretsch achetée in extremis vingt minutes
avant de partir, dans un magasin où elle venait d’arriver. Un têtu, qui passait tous les jours au
magasin en attendant qu’elle arrive.
Puis, Charolles veut chanter. - Elsa mon amour, ma jeunesse. Suffit-il donc que tu paraisses, ouh… ouh.
Il s’accompagne en tapant sur une tôle et en agitant une chaîne. Work song, début du troisième
millénaire.
« Découvert » par Little Bob et Laurent Dehors, Denis Charolles a fait de la musique pour s’en
sortir. Son enfance ne servira pas de modèle aux écolières de Notre-Dame du Sourire et c’est
dommage. - Laurent Dehors m’a rencontré alors que je vendais des pains au chocolat sur le marché de
Rouen. La semaine d’après, comme je vendais des salades et des tomates, il m’a dit : « Je te
prends dans mon groupe »
Sidéré. Lequel des deux est le plus fou ? - Il m’avait à peine entendu jouer. Je crois qu’il n’aimait pas la façon dont je jouais d’ailleurs.
Ce qui lui a plu chez moi, c’est la façon dont je marchandais les salades et les tomates.
Bon. Finalement c’est logique. Tous dehors, la campagnie des musiques à ouïr… rien de moins
semblable. Cette rencontre est déterminante. Laurent Dehors est un musicien reconnu et il prend
Denis Charolles dans le trio (avec le guitariste David Chevallier), puis dans Tous Dehors et de
rencontres en concerts, ils jouent avec Michel Portal, Louis Sclavis, Henri Texier… beau parcours
depuis les petites salles de rock rouennaises. Sa coterie, c’est la bande à Dehors, la bande à
Monniot. Christophe et Denis jouent en duo, en trio, en orchestre, comme avec Dehors. Charolles
semble correspondre à un univers humoristique et décalé où le jazz prendrait une liberté
d’expression hors du cadre musical, mais face au public. La liberté, la démerde, la créativité. C’est
ce qu’il recherche dans la musique et qu’il trouve principalement dans les petites formations. Dans
la vie, il fait ce qui lui plaît. Et on le retrouve avec la Campagnie en concert avec Yvette Horner.A leur demande. On n’a jamais entendu ça. Le festival Sons d’Hiver a permis cette rencontre. Le concert a été enregistré. Ce fût magique. Pourtant, les premiers contacts sont restés en mémoire.
-Lorsqu’on lui a parlé d’improvisation, elle nous a dit : « Messieurs, la porte est ouverte, j’ai autre chose à faire. Au revoir ». Alors, on est resté pour parler et pour se connaître. On voulait faire ça. Nous avons fait six mois de travail.
Yvette Horner. Il fallait le faire.La Campagnie est née de rencontres, d’écoutes, d’expériences. Et Monniot est là encore. Leader de
Monniotmania, véritable bombe orchestrale, délirante et fugace, improvisée. Monniot aime rire. Le
rire est important, mais il véhicule une émotion.- Dans la caricature de l’Eté indien, renommé Dédé l’Indien, le but est de protester contre le
système de la variété qui exploite la misère et la pauvreté des gens avec des chansons débiles. Au
début, les gens rient. Mais ensuite, ils sont mal à l’aise. Il ressentent cette arnaque.
Insaisissable Denis Charolles, il rebondit sur tout. Dédé l’Indien, c’est du sérieux. Une chanson
engagée. Et au premier degré, s’il vous plaît. Mais il manque du texte et Denis travaille dessus,
notamment pour la Campagnie. La musique est un langage universel.
-L’amitié avec Christophe est un lieu de rencontre. Depuis dix ans. Nous avons commencé à
Rouen, dans la rue. Dans les bœufs, on était mis de côté. Il ne jouait pas dans les harmonies, moi
je ne jouais pas ce qu’il fallait… alors on a joué ensemble, dans la cave. C’est un travail d’écoute.
Nous avons beaucoup écouté de disques, de musiques différentes. C’est une source d’inspiration
permanente pour moi.
Denis Charolles repart en dansant. On le retrouve un peu plus tard, conduisant une fanfare
sud-africaine dans le parc de la Villette, pour le festival ; sur la petite scène de l’Atmosphère, dans
le 18éme à Paris. Et ses performances restent une expérience. Il fait vibrer d’une façon si
personnelle, en dehors de tout classicisme, de toutes convenance, mais avec sincérité.
A suivre donc, sur disques ou en concert avec La Campagnie des musiques à Ouïr, Laurent Dehors,
Monniotmania, Pyromanes, etc. - Dans la caricature de l’Eté indien, renommé Dédé l’Indien, le but est de protester contre le