Christophe Monniot
Six Migrant Pieces
Christophe Monniot (as), Aymeric Avice (tr), Jozef Dumoulin (p, Rhodes), Nelson Veras (g), Nguyên Lê (elg), Bruno Chevillon (b), Franck Vaillant (d), Sylvie Gasteau (voix)
Label / Distribution : Le Triton
La parfaite hétérogénéité proposée par Christophe Monniot, instigateur de cette œuvre salutaire, exerce un magnétisme similaire à la pièce musicale agrémentée des voix essentielles dans Le trésor de la langue de René Lussier, c’est peu dire.
Six Migrant Pieces va droit au but : si l’immigration a depuis longtemps contribué à la richesse matérielle et intellectuelle de l’Hexagone, les déplacements de populations dus au changement climatique occasionnent de nos jours des drames humains qui se perpétuent quotidiennement en mer et sur terre. La précarité, les guerres et le totalitarisme éreintent nos semblables. « Climax Change » démontre avec quel talent Christophe Monniot aborde ce thème, le piano de Jozef Dumoulin se fait évocateur, il dessine une trame musicale accolée aux mots énoncés et suscite une forte expressivité émotionnelle. Trois entités se superposent, la section rythmique composée de Bruno Chevillon et de Franck Vaillant, les riffs cuivrés du leader et d’Aymeric Avice et la variété des interventions vocales de Sylvie Gasteau. Si la thématique est empreinte de gravité, ce n’est pas pour autant que la musique s’assombrit, un swing contagieux s’impose à travers des harmonisations solennelles.
Le multiculturalisme imprègne savamment les différentes compositions, le partage des rôles entre Nelson Veras - impérial avec sa guitare semi-acoustique dans « Interlude » - et Nguyên Lê - débordant de fougue avec sa guitare électrique dans « 6T2P Part 1 » - produit une réelle harmonie. Cette composition met bien en valeur le jeu concis d’Aymeric Avice, sa trompette est cajolée par les rythmiciens qui insufflent un tempo vivifiant. Les paroles amoncelées atteignent un degré d’inventivité saisissant comme dans « 6T2P Part 2 ». Le spectre d’I have a dream transparaît, ici parfaitement mis en évidence dans le livret de Sylvie Gasteau qui avait obtenu un Award de bronze au New York Radio Festivals 2015 pour ses Variations Martin Luther King. La symbiose entre la sonographe et Christophe Monniot parcourait déjà les albums Vivaldi Universel (saison 5) et Jericho Sinfonia, dans Six Migrant Pieces l’intégration de la bande-son se révèle prodigieuse.
L’équilibre naturel qui traverse cette œuvre n’occulte en rien les exigences techniques dont font preuve les instrumentistes ainsi que la cohérence du collage des voix. Cet album est fondamental, le pouvoir de faire progresser la condition humaine passe par ce message primordial, comment quitter un lieu où la vie n’est plus possible pour se construire dignement ailleurs.