Chronique

Colin Fisher/Mike Gennaro

Tactile Stories

Colin Fisher (as, ts, g), Mike Gennaro (dm)

Label / Distribution : Cacophonous Revival Recordings

Du Canada nous arrivent des nouvelles réjouissantes : Mike Gennaro, connu comme partenaire de Mats Gustafsson, nous déploie sa palette rythmique avec le multi-instrumentiste Colin Fisher dans le bien nommé Tactile Stories.

L’effervescence sera de la partie durant tout cet enregistrement, nous rappelant combien l’exercice de style est risqué. Mais ces deux musiciens ne se sont pas réunis pour faire dans la dentelle : l’urgence est convoquée au premier abord tout en accueillant des moments de réflexion, toujours à propos, qui ont pour but de laisser respirer la musique. La science musicale de Colin Fisher au saxophone s’exprime par exemple dans des suraigus répétés vers la septième minute d’une savante construction intitulée « Esse », avant un pont qui porte au pinacle le drumming de Mike Gennaro. Cet exemple de glissement sonore démontre l’évidence de ce qu’est une écoute mutuelle, fruit d’une grande connaissance réciproque des deux individualités.

Mike Gennaro n’est pas seulement un musicien actif et représentatif de la scène free de Toronto, mais également un pédagogue renommé. L’enseignement de la batterie est l’une de ses nombreuses activités, ce qui nous laisse espérer avec bonheur qu’il puisse transmettre son goût des expérimentations musicales - chose qui peine à se manifester dans les écoles traditionnelles.

Le son rocailleux de Colin Fisher aux saxophones peut se muer en une matière suave comme dans les instants où la machine tourne à plein régime. La richesse harmonique de « Tactile Stories » est également façonnée par le son de la guitare électrique, qui échappe à des saturations par trop entendues ailleurs. Le phrasé rappelle de temps à autre Eugene Chadbourne. Fisher prend la main, offrant subitement une tension expressive de toute beauté ; sa sonorité teintée d’un subtil effet d’écho se propage en multiples riffs puissants. La virtuosité de ce multi-instrumentiste, exposée dans le thème « Epinoia », imprime un tapis harmonique contrastant avec le tourbillonnement de ses saxophones.

La liberté de ces deux enchanteurs procède de l’assimilation de textures agitées sans cesse de mouvements organiques. Ce duo est une source de renouvellement, preuve que l’improvisation n’est pas une facilité à sens unique mais plutôt l’éventail de tous les possibles.