Tribune

Concevoir l’universalité de Martial Solal

Turfiste, voyageur sans but, sidérodromophile, artisan simple… Qui est Martial Solal ?


Robert Kaddouch, pianiste, chercheur et pédagogue connaît bien l’oeuvre de Martial Solal et a également enregistré en duo avec ce dernier.
Pour ce dossier spécial de Citizen Jazz, il propose un article sur la posture improvisatoire et sur le dispositif de jeu qui ont permis à Martial Solal d’élaborer un langage puissant, authentique et inédit.
Ces « bonnes feuilles » sont publiées en attendant la sortie de l’ouvrage Robert Kaddouch- L’art d’improviser, une pensée en actes. Entretiens avec Martial Solal.

J’écoute les disques de Martial Solal depuis l’âge de 5 ans. La première fois que nous sommes montés sur scène pour un concert à deux pianos [1], je faillis annuler l’évènement après que j’eus, au cours de la répétition, la désagréable impression de pénétrer dans un univers tellement achevé que nul n’y avait sa place, excepté le maître des lieux.

L’expérience m’a montré que non seulement Martial partageait son monde sonore si riche et palpitant, mais aussi qu’il permettait à ceux qui l’approchaient, de développer à leur tour leur propre langage, leur propre univers. Mais comment cet artiste avait-il construit un langage aussi particulier ?

Ma curiosité de musicien, de pédagogue et de chercheur [2] m’a amené, ces dernières années, à me pencher sur l’exceptionnelle posture improvisatoire de Martial et sur la précision et la complexité d’un dispositif de jeu qui lui ont permis d’élaborer ce langage puissant, authentique et inédit.

Martial fait ce qu’il est, et il est ce qu’il fait !

Pour me permettre de mieux comprendre cet univers, Martial a accepté, au cours de nos échanges amicaux de ces dernières années, de répondre, paisiblement devant son piano, à mes interrogations sur la manière dont ce précieux dispositif s’était élaboré. Devant ses difficultés à m’expliquer ce qui lui paraissait si naturel : déployer les moyens de réaliser un chemin musical qu’il l’entendait dans sa tête, j’ai orienté différemment mes questions et mes interrogations, en lui proposant de lui soumettre mon analyse de son dispositif. Et cette approche oblique que j’ai croisée avec mes recherches en pédagogie de la création, elles-mêmes issues de mon travail de terrain dans le cadre de l’enseignement de l’improvisation, m’a permis de révéler de puissants procédés d’une richesse inouïe.

Robert Kaddouch et Martial Solal en studio

Voici un exemple de cette forme de dialogue oblique. Alors que je venais de donner une conférence à l’université d’Oxford, avec l’ethnomusicologue Simha Arom, sur l’ontogenèse (émergence spontanée) des procédés polyphoniques, Martial me demande d’abord si ces conférences ne me prennent pas trop de temps sur mon travail de pianiste (pour lui, l’ascèse de l’exercice quotidien est le devoir premier de tout musicien), puis il me pose des questions sur ces procédés, prétendant que cela doit être loin de lui. Je lui démontre alors qu’il les utilise tous, qu’il les combine même et les superpose sans le savoir. Il reste alors stupéfait de pouvoir concevoir « l’universalité » de ses productions en les comparant aux fantastiques polyphonies des pygmées Aka par exemple. Je lui rappelle alors que le compositeur György Ligeti, après avoir travaillée avec Simha Arom, s’était inspiré de ces polyphonies complexes dans ses Etudes pour Piano, le Concerto pour piano et le Concerto pour violon.

On observe là, un Martial Solal dans toute sa splendeur : curiosité, naïveté, innocence, simplicité, vivacité, intelligence, rigueur, respect des autres et… humilité, la qualité des grands créateurs. En fait, Martial fait ce qu’il est, et il est ce qu’il fait !

C’est en cela que je vais décrire très précisément sa posture d’improvisateur à travers des anecdotes, des épisodes, des actions, des commentaires d’un homme aussi vrai que sa musique.

J’expliquerai tout d’abord, le dispositif de création dont la source est le référentiel mobile. Pour Martial, le but, c’est le chemin. Cette image évoque les pilotes passionnés dont l’objectif n’est pas de se déplacer d’un point à l’autre, mais de voler. Ils pilotent leur avion pour évoluer dans les airs et non pour atteindre un point, non pour atterrir autre part. Ce référentiel mobile, c’est le véhicule que Martial Solal chevauche et dans lequel il nous emmène quand il improvise.

Nous aborderons les actions principales qu’il utilise pour évoluer :
Mutation
Bascule
Translation
Imbrication
Miroitement
Et ces opérations l’amènent à élaborer une gestion du temps musical qui se dilate au fur et à mesure qu’il le pétri, nous développerons ce sujet.

J’évoquerai ensuite l’homme qui transcende l’ordinaire, celui qui reste présent, simple et authentique dans chaque recoin d’un univers musical qui sublime sa nature d’homme.

Le turfiste et la gestion du hasard.

Les maquettes de train et de gares qu’il affectionne, dont la maîtrise des aiguillages demande une adresse et un art aussi subtil que les croisements de lignes mélodiques, les changements de tonalités ou les mixités harmoniques.

L’amateur d’écran, d’images mobiles qui peuvent apaiser l’impatience d’un hyperactif. Cela lui a valu de belles et célèbres musiques de film comme « A bout de souffle »

La rigueur et le labeur d’artisan simple et la volonté de s’astreindre à un outil de travail rudimentaire (son vieux piano Kawai) duquel il ne veut jamais pouvoir tirer un meilleur son que ses pianos de concert, pour être sûr d’offrir ses plus belles pages à son public et non à son studio de travail.

je m’ennuie vite, même si la musique est bonne !

Comme tout hyperactif impatient, l’ennui point. Quand je suis venu récemment lui faire écouter mes derniers albums avec Gary Peacock [3], il m’a rappelé : « ne te vexe pas si j’arrête au bout de 3 minutes, peut-être même deux, tu sais que je m’ennuie vite, même si la musique est bonne ! ». Il l’a écouté d’un seul trait : c’était pour moi une récompense plus belle qu’un Award.

Le goût des jeux de mots, quand il présentait « Les surprises de Martial Solal sur France Musique, l’art du réflexe, de l’ambiguïté, et la volonté de maîtriser le complexe.

L’objectif ultime est d’être prêt pour l’idée, c’est elle qui est au coeur de tout ce dispositif. Mais parlons d’abord de sa pensée sonore et du dispositif improvisatoire qu’il a élaboré pour la servir.

I. La création d’un univers musical inédit

1. L’abstraction de l’abstraction !

Pythagore avait dit à ses disciples que lorsque les mathématiques parviendraient à donner un nombre au son (l’ancêtre de la numérisation), elles prouveraient alors leur pouvoir absolu. Incarner le son, évanescent, impalpable, par un chiffre ou un rapport numérique était devenu l’objectif ultime de la communauté des Pythagoriciens. La métaphore des forges montre comment Pythagore y est parvenu, mais cela est une autre histoire.

Un jour que nous parlions de la notation des structures harmoniques [4], Martial émit une observation sur laquelle je revins et le questionnais maintes et maintes fois pour comprendre de quoi il s’agissait.
Martial dit : « Mais, sur une grille d’accords, je n’ai pas besoin de lire si l’accord est majeur, mineur, quinte diminuée … ! »
Jusque là, tout musicien expérimenté peut saisir qu’un enchaînement harmonique possède une logique tonale, modale ou stylistique qui lui permet de déduire la structure de chaque accord qui le compose. Mais dans la seconde partie, la remarque de Martial est troublante :
« … et je peux même évoquer le FA sans qu’à aucun moment la note FA ne soit jouée. En fait, j’atomise des sons autour de ce noyau ! ».

D’abord stupéfait, puis curieux, je demande à Martial de développer cette idée, mais je comprends vite que la solution est dans sa musique, non dans ses explications. Malgré tout, j’étais intéressé d’enseigner ce que je percevais comme étant le sommet de l’improvisation : pouvoir tout exprimer avec tous les mots musicaux, se libérer du vocabulaire musical restreint affecté à chaque son. Pouvoir évoquer un son sans le jouer, déjouer l’arbitraire du son, n’est-ce de l’abstraction ?
En disant le mot piano, on imagine le piano, sans, nécessairement en avoir un sous les yeux. Martial, en jouant certaines notes sauf le FA, dit (et il y parvient) arriver à exprimer le son du FA ! Le son est déjà abstrait, il ne se voit pas, il ne se touche pas… et là, on l’exprime sans même le valider (on ne joue pas le FA) ! N’est-ce l’abstraction de l’abstraction ?

2. La notion de Présence

Mais comment saisir de phénomène ?
Il m’apparaît l’image de camions contenant du matériel Siemens qui, un jour, ont débarqué au musée Picasso du Marais. Les chercheurs avaient pris plusieurs sculptures du maître et les avaient introduites dans des scanners IRM. Quelle ne fut leur stupéfaction quand ils s’aperçurent que chacune d’entre elles contenait un objet que Picasso y avait introduit : un jouet de son fils, un petit singe en peluche … Picasso considérait-il que le pouvoir de radiation, d’émanation de l’objet, pouvait l’inspirer au point de guider sa main vers une forme plus parfaite ? symbole ou réalité ?
De la même manière, Martial Solal, à partir de l’essence profonde du son, de la présence d’un son, travaille à évoquer une manifestation temporelle, physique et actualisée de ce son. Le FA existe aujourd’hui, pour ce public, dans ce contexte et de cette manière. Demain, d’autres sons évoqueront le même FA. Telle une Idée peut être exprimée, actualisée de mille manières, selon le locuteur, le public, le contexte… pour rester la même idée. Par contre, tenter d’exprimer une idée de la même manière, quelque soit le contexte, c’est la trahir. Avis aux imitateurs des grands maîtres de l’improvisation.

Ainsi, Martial porte l’abstraction jusqu’au bout, au point de faire disparaître les formes connues et consensuelles, pour permettre à l’auditeur à aller à l’essence du son, à l’idée.

Mais ce type de traitement du discours musical n’est pas une sorte de coup de génie inexplicable, il repose sur un véritable dispositif que je vais maintenant décrire.

3. Le référentiel mobile

Ce qu’il faut saisir avant tout c’est que Martial, comme Picasso, pense : « si tu sais ce que tu vas faire, à quoi bon le faire ? ».
Martial déplace donc son temps présent. Son présent est mobile, il ne déroule pas une action dictée par des prédictions, il crée des présents successifs. S’il anticipe et prédit, c’est pour mieux déjouer la puissance des stéréotypes, c’est à dire des réponses toutes faites, à des problèmes posés.

créer dans l’urgence et grâce à l’urgence du temps improvisé

Nous vivons, bien entendu, au présent, William James, le psychologue et philosophe du 19e siècle, évoquait déjà, à son époque les 3 secondes du présent psychologique, mais il ne s’agit pas de cela, dans ce qui nous intéresse. Il est ici question - de la capacité à inhiber les chemins qui se tracent d’eux-mêmes, par l’expérience et la culture, les « lits mnésiques » - de la capacité à oublier tout ce que l’on sait des traitements jugés efficaces dans des situations données, pour construire du neuf, c’est à dire créer dans l’urgence et grâce à l’urgence du temps improvisé, un nouveau chemin qui est exactement celui dont on rêve au moment où on l’élabore.

En pratique, Martial ouvre un chemin, car pour lui, le but, c’est le chemin. Son objectif est la découverte. Il s’en va donc et sa seule référence est le présent, son référentiel est mobile. Une phrase, puis une autre, un rythme, un accord, un accent et voilà mille routes qui s’ouvrent ! Le handicap de Martial, à ses dires, est de deux ordres : premièrement, il foisonne d’idées « j’ai mille idées et ne sais laquelle choisir ». Deuxièmement, ses doigts surentraînés vont parfois plus vite que sa pensée et ce phénomène l’exaspère au plus au point. « Mes concerts les moins bons sont ceux où j’étais le plus en forme, où j’avais le mieux entraîné mes doigts. Pourquoi ? Parce que tout allait trop bien et puis j’ai été dans leur sens. Au contraire les concerts où je sens que je ne suis pas tout à fait prêt je vais à l’essentiel. Et là j’enlève. » Saint-Exupéry a dit justement : « La perfection, ce n’est pas quand on ne peut plus rien ajouter, c’est quand on ne peut plus rien enlever  ».

Mais Martial a développé une capacité d’inhibition positive, cognitive et motrice, telle, qu’après avoir activé mille idées et déployé sa remarquable technique, il est capable, quand il a reconnu et isolé l’idée qui se dessinait, de tout inhiber sauf ce qu’il pense être l’essentiel. Il me vient une expression d’Albert Camus quand il dit « un homme, ça s’empêche ! »

Comme Martial l’exprime à sa manière : « je ne veux pas savoir où je vais, sinon cela ne m’intéresse pas ! Parfois je me dis qu’il faudrait que pendant 8 mesures je joue ce que j’ai prévu, mais je n’arrive jamais à la huitième mesure. Cela m’ennuie profondément car le parcours est déjà terminé dans ma tête. Alors si je veux développer ou maintenir le souffle de l’inspiration, il faut absolument que je change de cap, que je cherche autre chose qui me surprenne et pour cela, je ne veux connaître l’accord que quand j’ai joué le premier ! ». Les gitans ont un mot pour cela, c’est le DUENDE, soit la capacité à se surprendre soi-même. C’est le prix à payer pour que l’idée créatrice, inspiratrice soit présente !

4. Les référentiels multiples

« Je pourrais improviser sans support mais dans ce cas, peu de gens pourraient me suivre, et j’ai envie de partage, alors je prends un standard connu, le plus simple possible pour aller le plus loin possible » s’exclame Martial. On observe ici, que ce génie de l’improvisation ne conçoit pas ce type d’expression musicale sans un auditoire, sans un contexte de partage. Et pour cela, il utilise un média courant, le standard, soit un support mélodique et harmonique reconnu d’un grand nombre de personnes avec lesquelles il peut partager.

Quand je joue, je ne pense qu’à un accord qui change tout le temps, qui se transforme à chaque seconde

Allons maintenant plus loin dans le dispositif de Martial Solal, mais d’abord, récapitulons : un référentiel mobile, son véhicule, sa voiture qui avance et le public qu’il choie, référentiel humain interactif, avec lequel il a envie de partager son goût de l’exploration musicale, ce plaisir de découvrir des chemins sonores. Alors, pour ne pas le perdre, il utilise un support : le standard, référentiel objet.

Tel un navigateur qui, pour tracer sa route, à besoin de connaître la position qui lui est donnée par des phares, Martial croise les faisceaux de trois référentiels  : le référentiel mobile, son véhicule qui se déplace, son bateau – le référentiel objet : la mélodie et la structure du standard – et le référentiel humain : son public qu’il sent palpiter sous ses doigts.

Ainsi Martial crée des présents successifs au fur et à mesure que son chemin se construit : « Quand je joue, je ne pense qu’à un accord qui change tout le temps, qui se transforme à chaque seconde  ». L’objectif est alors une conséquence et non un but. Martial pose son baluchon à un endroit et, tel un grand voyageur, il conçoit cette destination passagère comme le point de départ d’un prochain voyage. Mais voyager est un art qui repose sur des techniques, c’est ce que nous allons aborder maintenant.

5. Le dispositif de création improvisée

En préparant une conférence que j’ai récemment donnée à l’auditorium Quad Garden de l’Université d’Oxford, sur le thème « Apprendre c’est créer, Créer s’est se transformer [5] », j’ai élaboré les techniques qui me paraissaient être des plus performantes pour gérer un geste improvisé. Plus j’avançais et plus je m’apercevais qu’une musique venait illustrer ce dispositif « idéal », c’était le piano de Martial ! Ainsi, j’ai abordé mon exposé d’une autre manière, en prenant comme source la posture de Martial, et je m’aperçus qu’il utilisait des procédés dont il ne m’avait jamais parlé, sans doute parce qu’il en ignorait leur existence. Mais, est-il intéressé de comprendre comment il procède ? Il le fait, c’est l’essentiel !

6. Les procédés d’une haute technique d’improvisation

Voici les 5 procédés utilisés par Martial pour gérer le flux harmonique :
Mutation
Bascule
Translation
Imbrication
Miroitement

Pour ne pas dépasser le cadre de cet article, je resterai succin sur ce développement et vous invite à lire l’ouvrage à venir [6].

a. La Mutation
Un accord et lancé. Martial n’est pas homme à aller droit devant sous prétexte que la route se déploie devant lui. Il troque un véhicule contre un autre pour résoudre des problèmes d’orientation. S’il veut générer un espace temps et lutter contre l’inexorable chronologie, alors il devient hélicoptère. Ainsi, il crée, pour utiliser un oxymore, « un mouvement sur place », le stationnaire de l’hélicoptère. Et il oriente le nez de l’appareil dans toutes les directions jusqu’à ce qu’un point l’appelle. La mutation est une transformation de l’accord qui appelle à un devenir plutôt qu’un autre.

b. La Bascule
Comment prendre la direction maintenant ? L’hélicoptère s’incline pour mordre l’air et créer un flux directionnel. Ainsi, Martial, quand il veut faire référence au système qui nous a tous bercé, le système tonal, utilise le procédé de bascule, soit un enchaînement à la quinte inférieure. Le mouvement résolutif de quinte crée alors un sentiment d’intégration à un flux (le deuxième harmonique, la quinte, qui se repose sur sa fondamentale, le son fondamental, générateur), tel un poisson rejoint son ban en intégrant un flux continu. La bascule est aussi utilisée dans d’autres contextes que la musique tonale, évidemment.

c. La Translation
Mais il se peut que, telle la dérive pour un pilote, un vent latéral modifie la trajectoire rectiligne ! L’avion avance mais se déplace latéralement. Pour un pilote, cette dérive doit évidemment être compensée, mais pour Martial et son chemin, toute modification peut devenir source de découverte, l’aléa, l’erreur peut conduire à un enrichissement. Et Martial, sur ce point, pense courageusement que risquer de se perdre, c’est provoquer une découverte possible. Un sage biblique a dit : « … et surtout ne demande jamais ton chemin, tu risquerais de ne plus pouvoir te perdre ! ».
En pratique, Martial se laisse dériver en pratiquant une transposition soudaine d’un ton, d’un demi-ton ou des décalages moins subits. Il réajuste alors ou laisse courageusement le vent le porter plus loin jusqu’à ce que l’idée apparaisse.

d. L’Imbrication
Parfois, on va chercher trop loin une richesse dont on est déjà détenteur, mais que l’on ne sait voir. « Dans le champs de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits éclairés » disait Pasteur. Une note passe, un accord, un rythme, un accent qui pourrait laisser indifférent quelconque pianiste non aguerri à cet art de découvreur. Pour Martial, tout est important, il ne faut donc rien négliger. Son regard est omniprésent et il pratique l’ignorance active : il ne veut rien savoir, rien présestimer car tout peut être important, mais il faut savoir attendre, regarder, écouter et intuiter parfois.
 [7]

e. Le Miroitement
Debussy a beaucoup utilisé cette technique. Elle émane de son goût et de sa capacité a contempler, des heures durant, la mer et ses vagues continuelles et toujours différentes. C’est la remarque que faisait Miles Davis au batteur Kenny Clark : « c’est stupéfiant : il fait toujours la même chose, mais çà ne sonne jamais pareil ! ». Écoutons les rythmiques des chasseurs peuls, au Mali. Une cellule très simple, court-court-long, deux croches et une noire, répétée incessamment avec de micro-variations qui donnent un swing prodigieux à leurs productions.
Examinons maintenant le miroitement harmonique, tel qu’il a été initié par Claude Debussy : Miroitement harmonique et Sociologie des accords.

La note Sib est 7e mineure de l’accord de Do (M ou m), 9e M de l’accord de Lab7 (Ab7), 9 aug de G7, 9e dim de A7, 11e aug de E7… et la liste est encore longue ! On peut en conclure, par cette démonstration, que C7, Ab7, G7, A7, A7… ont un point commun possible : Sib. Comme si, lors d’une réunion d’un grand nombre de personnes de milieux très différents, il était possible de trouver un sujet qui concerne et réunisse un cheminot, un artiste peintre, un ministre, un compositeur, un commerçant, un agent d’entretien … Quelle richesse ce serait, de pouvoir leur donner le moyen de communiquer réellement, avec authenticité ! Les idées émises seraient assurément différentes de celles que produiraient 5 ministres entre eux, 5 agents d’entretien entre eux, ne pensez-vous pas ?

Par cette technique de miroitement, Martial chevauche la machine à remonter le temps. Il va là où il veut, quand il veut et sans préparation, contrairement aux procédures modulatoires de la musique tonale. Cette technique est le passeport vers la liberté maîtrisée.

7. La gestion du temps

D’évidence, ces cinq procédés impactent et redéfinissent le traitement du temps musical. Je vais ici, succinctement, évoquer les cinq types de traitements temporels qu’utilise Martial Solal.

a. Le temps conduit :
Tel un cheval au galop, le musicien contient et projette avec maîtrise, la dynamique constituée par l’interaction du tempo et de la rythmique associée aux fluctuations et croisement de la mélodie, aux mouvements harmoniques et aux modulations tonales. L’élan ainsi engagé demande de constituer une centrale inertielle mobile, seule capable de gérer cette énorme énergie cinétique, tels deux trains côte à côte avançant à la même vitesse. Par conséquent, la seule manière de rester maître de cet élan est de produire une énergie capable de se constituer synchrone avec le déroulement temporel vers l’avant.

b. Le temps suspendu :
Sorte d’oasis temporel, le point d’orgue va permettre de se dégager de la contrainte d’une volonté engagée pour libérer d’autres flux d’idées, de perceptions et de sentiments.

c. Le temps démaillé :
Tel une corde qui s’effiloche et se reforme à la manière des fils électriques que l’on suit des yeux quand le train est à vive allure, ce procédé de démaillage et de remaillage est un moyen d’élaborer une rythmique aussi précise que la qualité de posé d’un son. C’est une manière de faire vibrer les durées, de les concevoir sur le même plan que le timbre. Ce système peut s’élaborer dans un contexte conduit ou suspendu. Ainsi, aucun rythme ne ressemble à un autre.

d. Le temps combiné :
Stravinsky est le maître de ses combinaisons polyrythmiques, de ces superpositions de débits temporels. Dans ce cas, les rythmes subissent des traitements verticaux (polyrythmiques) ou horizontaux (déphasage progressif et organisé, des motifs rythmiques).

e. Le temps lisse :
En apesanteur, le discours n’est plus soumis à la gravité d’un tempo ni d’une métrique.

Tout cela, Martial l’a construit à partir de ce qu’il est vraiment. Rien n’est faux chez lui. On parle de recyclage neuronal à propos de la capacité d’utiliser un réseau de neurones affecté à une tâche pour réaliser une nouvelle tâche pour laquelle rien n’a encore été déployé. Et bien Martial a sublimé ses qualités et même ses défauts, qui plus est, pour opérationnaliser un dispositif d’une rare performance, je l’ai expliqué, dont on ne peut qu’apprécier les effets : sa merveilleuse musique !

le hasard se travaille car il n’est pas un accident mais un élément du milieu

II. Transcender l’ordinaire

1. Martial le turfiste, et la gestion du hasard

Gérer le hasard, je l’ai énoncé plus haut, est le privilège des grands chercheurs. Einstein disait : « Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito ». Cette maîtrise, Martial la développe très tôt quand il joue au tiercé. Il côtoie le hasard de manière très rigoureuse en étudiant les chevaux, les entraîneurs, et un grand nombre de variables. Ainsi, il fait coexister très tôt, ce rapport entre rigueur et hasard en accompagnant ses oncles qui jouaient aux courses, à Alger. Dans son enfance, il était courant à Alger de jouer et de parier sur les chevaux. Martial a commencé à s’y intéresser à un âge où sa taille lui permettait de se faufiler sous la barre d’entrée pour admirer le merveilleux spectacle des courses. C’est toute l’ambiance des courses qui l’intéressait. Il joue encore aux courses aujourd’hui. Le plaisir du jeu est corrélé à une forme de rigueur préparatoire, mais il n’a jamais développé quelconque addiction. Il est capable de passer de longues périodes sans jouer.

Pour Martial, il existe donc une préparation, un entraînement au hasard. Pour lui, le hasard se travaille car il n’est pas un accident mais un élément du milieu.

2. Le petit train de Martial et l’art de l’aiguillage

Martial a développé un goût prononcé pour le modélisme ferroviaire. Il a construit durant des centaines d’heures, pour ses enfants et ses petits-enfants, tout un parcours ferré miniature dans une pièce de sa maison. Un tel intérêt pour un homme hyperactif et impatient, m’a intrigué.

Quand Martial me dit : « Certaines fois, je me dis que je vais faire les 8 mesures jusqu’au bout, mais au bout de 2, je n’y parviens pas ! » Je me demande alors comment il peut attendre qu’un train arrive à destination après un aiguillage ?

Ne serait-ce la même manifestation que ces enfants à haut potentiel qui fréquentent mes écoles de piano ? Ils souffrent, au début, de « pétillances actives », soit des flux de pensée désordonnés qui se chevauchent et les déstabilisent par leur multiplicité. Puis, devant une problématique de création, les fils se dénouent, les flux de pensée s’harmonisent et s’orientent vers un objectif jugé stimulant.

En musique, Martial se confronte à cette multiplicité des aiguillages. Il voudrait bien conduire les phrases musicales à leur terme, mais il envisage mille idées, mille aiguillages possibles et ne peut se résoudre à abandonner la phrase à une destinée préméditée. Kant parlait de « ce gland voué à devenir chêne ». Comment poursuivre une route, une action qui est déjà achevée mentalement, qui a déjà été réalisée ?

Le train de Martial et sa passion pour le modélisme ferroviaire lui ont peut-être permis de ralentir et d’ordonner ses flux de pensée en leur donnant une forme amusante, qui est le train. En prenant un temps long pour construire, Martial édifie un espace et un outil de la patience. Comment il agit sur ces aiguillages ? Je ne lui ai pas encore demandé.

Le passage articulé d’une voie à l’autre est analogue à la modulation musicale, ce passage se doit d’être réalisé de manière extrêmement articulée pour qu’il fonctionne.

Or Martial module si souvent en improvisant… il se doit, pour aller d’un point à un autre, de prédire mille aiguillages et la manière de les orchestrer. Or comme il le précise, « prédire, c’est gouverner. »

3. L’amateur de télé

Martial regarde la télévision pendant qu’il exerce ses doigts. Les exercices l’ennuient à ce point que le téléviseur lui sert de compagnie. Sans public, Martial n’est pas prêt pour entrer dans l’idée. Une vraie dichotomie s’opère dans sa présence au piano : avec public et sans public.

Sachant cela, il s’engage à la maison avec régularité dans ce qui est le plus routinier, l’exercice. Il prépare son corps, il prépare ses doigts et par là même, son esprit, à développer des réflexes, comme il le dit. Au cœur du dispositif, il y a l’Idée : il faut être prêt pour l’Idée. Or, de manière presque aberrante, il se prépare à ces moments où son art se révèle unique, d’une manière très basique. Comme si un yogi, pour atteindre la transcendance méditative, s’astreignait chaque jour à faire des pompes et des exercices de musculation.

Lorsque j’enseigne un exercice à mes élèves, je ne dichotomise jamais la mécanique de la pensée. Pour moi, c’est la pensée qui fait le geste. Je passe mon temps à dire à mes petits pianistes, et aux grands d’ailleurs, de ne pas mécaniser une technique mais de choisir plutôt le passage d’une œuvre qui l’exercera. Je rappelle à ce sujet que le mot « Technê » en grec, signifie « moyen » : la technique est un moyen au service d’un objectif, ce n’est pas une fin en soi. Une technique doit toujours être corrélée à sa finalité expressive.

Martial Solal semble faire tout ce qu’il ne faut pas faire pour arriver à ce que tout le monde souhaiterait faire

Je considère que Martial a forgé une vraie technique en se frottant à son foisonnement d’idées lorsqu’il improvise. C’est le jeu en direct, devant un public, qui a constitué ses fondements techniques. Puis, en homme consciencieux et rigoureux, il a mis au point un programme d’exercices sur le modèle des pianistes classiques, pour asseoir et développer des mouvements qu’il possédait déjà.

On perçoit ici le même paradoxe que ses trains miniatures qui suivent leurs aiguillages de manière rassurante et les ré-aiguillages impromptus, incessants mais géniaux, des improvisations de Martial. Une technique éblouissante, vivante, authentique, parce qu’au service d’une idée et un travail mécanique des doigts qui logiquement, devrait voiler l’idée.

J’ai découvert cette problématique lorsque je travaillais une œuvre de Xenakis, « Mists », avec son interprète du moment, Claude Helffer. Xenakis avait analysé l’œuvre dans ses moindres détails, tous les étudiants étaient dans une attente de transcendance interprétative, quand Claude Helffer passa une demi-heure à expliquer comment coller les partitions pour pouvoir travailler rigoureusement sans infliger des tournes récalcitrantes. Puis il expliqua comment les exercices techniques élémentaires devront être traités pour résoudre des problèmes dans « Mists ». Et je suis resté frustré et choqué de m’apercevoir qu’une œuvre d’un compositeur aussi avant-gardiste que Xenakis soit travaillée de manière aussi traditionaliste et mécanique. Mais c’était la voie d’Helffer, et sa version de « Mists » était sublime, c’est l’essentiel, non ?

Pour conclure sur ce point, on pourrait dire que Martial semble faire tout ce qu’il ne faut pas faire pour arriver à ce que tout le monde souhaiterait faire !

4. Le vieux piano de Martial

Martial a conservé un piano à queue d’étude, d’une marque coréenne basique, du niveau de ce que possèdent les étudiants du Conservatoire qui viennent travailler à Paris. Devant mon étonnement, Martial m’a confié : « Je ne veux jamais jouer en concert avec un piano qui soit moins bon que le mien. Il faut toujours que mon piano de concert soit meilleur que celui de mon studio de travail, donc il faut que le mien soit au ras des pâquerettes pour être sûr de n’avoir que de bonnes surprises ! » Et voilà Martial dans toute sa splendeur : un argument irrévocable !

5. Martial l’impatient

Martial a des qualités très particulières. Il a une vivacité hors du commun, ce qu’il appelle : des réflexes. Son agilité digitale est remarquable. Il travaille énormément son piano et sans relâche. Et puis ses capacités de flexibilité mentale et sa capacité de réfléchir et d’interagir sont extrêmement performantes. En somme, je pense véritablement pouvoir affirmer qu’il a toutes les caractéristiques d’un haut potentiel (HPI).

Martial dit : « Je décide de faire quelque chose et puis immédiatement dès que je m’engage au bout d’une seconde je m’ennuie parce que ça y est, c’est fait. J’ai pensé la chose et elle est faite. » C’est une particularité des personnes à haut potentiel intellectuel. Ils écrivent très mal, par exemple, parce que, dès qu’ils se mettent à écrire le deuxième mot, leur esprit a terminé la page. Alors ils s’ennuient souvent parce que rien ne va jamais assez vite. Martial dit de lui même « l’impatient. »

Il fait trois notes et puis le reste est déjà dans sa tête. C’est pour cela qu’il ne peut pas écouter, parce que dès qu’il écoute quelques notes il a compris de quoi ça parle, le reste ne lui apporte plus rien. C’est ce qu’on lui reproche. Et en même temps c’est sa richesse. Il va toujours chercher autre chose qu’il travaille à relier avec ce qu’il est en train de faire. Tel un navigateur de haute mer, Martial pilote, il fait des virages à angle droit en permanence dès qu’il sent que c’est couru d’avance. Cela génère des idées très différentes que sa grande capacité de synthèse traite pour générer du sens. « J’essaye de faire en sorte que ça marche bien en donnant du sens » dit-il simplement. Il donne du sens à des opposés, ce qui crée de l’inédit.

Une musique du coq à l’âne ou un musicien à haut potentiel ?

L’humilité de Martial peut l’amener à douter. Il me dit un jour : « On me reproche de passer du coq à l’âne mais peut-être qu’ils ont raison ? » Je lui confirme que non, et je lui expose un volet de ma démarche pédagogique que j’appelle justement : la pédagogie du coq à l’âne. Qu’est ce que cela signifie ?
Lorsque je développe un sujet et que l’élève m’oriente différemment, je le suis. Je ne me dis pas quel est le lien. Puis il me propose encore autre chose, alors je fais autre chose. A un certain moment je me pose la question :
« Quelle relation y a t-il entre toutes ces choses qu’il m’a proposées, et pourquoi m’a t-il posé toutes ces questions dans cet ordre là ? »
Je porte beaucoup d’intérêt à la question que l’on me pose, mais encore plus d’intérêt à la raison pour laquelle on me pose cette question.
Là est l’action pédagogique : tirer les fils, ordonner, dégager le sens et le restituer à l’enfant. L’ordre établi, conventionnel, n’est pas souvent en rapport avec la logique de l’enfant, c’est une autoroute didactique pratique à utiliser quand on ne veut pas faire l’effort de comprendre.

De la même manière, Martial dégage de son cheminement, de précieux méandres dont les rapports avec le sujet initial sont si inventifs qu’ils paraissent éloignés. En continuant à le suivre, on s’aperçoit qu’à un certain moment, il tire les fils, il ordonne et dégage le sens pour le restituer au public. Il est à la fois l’élève et le professeur, il déploie sa créativité d’artiste et ses qualités de chercheur, il agit et il observe. Mais surtout, quand la sensiblerie point, il la balaye d’un revers.

Cela me rappelle un échange que j’eus avec le compositeur Yannis Xenakis à propos d’une symphonie de Beethoven. Xenakis me dit : « On est d’accord : la musique n’est pas faite pour être aimée ! ». Il m’a fallu une vingtaine d’année pour comprendre la puissance et l’humanité de cette affirmation. Je laisse d’ailleurs le lecteur la méditer en l’orientant du côté de l’acte de création conçu dans la Grèce antique.

Conclusion : Le compositeur

Lors de notre dernier entretien, Martial a tenu à me parler de ses compositions. Comme s’il craignait que seules ses qualités d’improvisateur n’aient d’importance à mes yeux. L’improvisation, c’est facile pour lui, c’est déjà acquis et peut-être, n’est-ce pas pérenne ?

Quand un jour, nous échangions à propos des perspectives de développement de l’univers Solalien, il me dit : « Là où j’en suis, il faudrait que je joue avec Pierre Boulez pour entrevoir des innovations radicales dans mon langage  ! ».

Il semble que la composition lui permette de jouer ce rôle de catalyseur, d’opérer cette remise en question des choix réalisés dans l’urgence du temps de l’improvisation ? Martial a toujours écrit, et il pointe aujourd’hui son important catalogue de compositions, comme s’il pensait que l’improvisateur avait fait de l’ombre au compositeur [8].

Martial conçoit-il l’écriture comme un aboutissement de l’improvisation ou bien l’improvisation comme le brouillon d’une future composition ? Il est vrai que les compositeurs comme Beethoven, Stravinsky ou Chopin essayaient d’abord leurs œuvres au piano, l’improvisation représentait pour eux, un escalier vers la composition. N’oublions pas que Beethoven, Chopin ou Liszt donnaient aussi des concerts d’improvisation.

Ebaucher une composition consisterait-il alors à cristalliser les meilleures formules improvisées ? Bergson disait que la forme [écrite dans ce cas] est un instantané dans une transition. Alors, est-ce que l’improvisation serait une forme inachevée de la composition ? « Bien sûr que non » dit Martial !

Quel est l’enjeu de la composition pour Martial Solal ?

Martial dit : « Par l’urgence du temps dans l’improvisation, on arrive à sublimer une phrase qu’on ne pourrait peut-être pas obtenir par la composition. » Quand on compose, on a le temps, de ce fait, les phrases vont trop lentement, comme un ralenti. La vitesse, le tempo de création est, pour Martial, une sorte de moteur nécessaire : comment la vitesse de création, l’utilisation de l’urgence du temps peuvent être activités comme vecteur de créativité ? On voit là que Martial Solal n’a pas fini de nous surprendre.

En conclusion, je tiens à insérer une note personnelle car en plus d’un artiste de génial, Martial est un grand homme dont l’humanité est à la mesure de son génie et il est mon ami. Depuis mes 18 ans, nous ne nous sommes jamais quittés, il m’a aidé à sa manière, à élaborer ma musique et ma pensée sonore. Je lui offre aujourd’hui ma définition de la musique – des musiques - qu’il m’a fallu vingt années à élaborer. C’est en tentant de définir son univers musical que cette définition m’est apparue : La Musique est un langage autoréférentiel qui organise le temps selon un système de différences. Ces différences s’appliquent à la hauteur, la durée, l’intensité, le timbre, le registre et la masse.

par // Publié le 15 novembre 2020
P.-S. :

Robert Kaddouch est un pianiste et compositeur atypique.

Il travaille avec Pierre Sancan qui contribue à l’aider à forger une technique pianistique solide. A l’École Normale de Musique de Paris, il explore le répertoire romantique avec Bruno Rigutto. Yannis Xenakis l’initie à la musique contemporaine et particulièrement à sa conception de la création. Martial Solal, enfin, lui montre la voie de la grande improvisation. A 16 ans, Robert commence à donner des concerts classiques. Il se tourne rapidement vers l’improvisation dont il pressent déjà la puissance formatrice et créatrice. Il l’utilise dans l’enseignement qu’il commence à dispenser à de très jeunes enfants.
Parallèlement, il joue et enregistre avec Martial Solal (1997 : Balade pour deux pianos), avec Daniel Humair et Césarius Alvim, en duo avec Gary Peacock, Jean-François Jenny-Clark et Eddie Gomez avec lesquels il dispense des master classes d’harmonie et d’improvisation.
Le fil conducteur de la pratique de Robert Kaddouch réside dans le développement d’une véritable pensée musicale et d’une approche humaine, qui s’exprime notamment dans sa pédagogie, présentée par le ministère des Affaires Étrangères dans des colloques dans de nombreux pays, et qui connaît une reconnaissance internationale. Il présente régulièrement sa méthode, fondée sur le concept de conductibilité, à l’Université d’Oxford, et auprès de chercheurs avec lesquels il entretient des collaborations régulières (ENS Paris, CNRS, INSERM ou Laboratoire de psychologie cognitive de la Sorbonne du Professeur Houdé.
Ces dernières années, il s’intéresse particulièrement à l’art du duo, donnant lieu à des rencontres et des albums avec Chuck Israels et Gary Peacock.

[11997 : Balade pour deux pianos, CD avec Martial Solal au piano (ASIN B00004UWJA) ;

[2(en) Robert Kaddouch, A Pedagogy of Creation : Teaching Students to Communicate Through Music, Lexington Books, Rowman & Littlefield, 2019 (ISBN 978-1498595254).

[32016 : 53rd Street, CD Robert Kaddouch avec Gary Peacock à la contrebasse (ASIN B018RCJCW4), (notice BnF no FRBNF45088512) ;
2016 : High Line, CD Robert Kaddouch avec Gary Peacock à la contrebasse (ASIN B01BN5QOL4) ;

[4Robert Kaddouch, La notation Kaddouch : des formes pour entendre, Kaddouch & Music, 2013 (ISBN 979-10-91488-03-7, notice BnF no FRBNF43760271) ;

[5Robert Kaddouch - Learning is Creating, Creating is being Transformed. 
14 février 2019. St John’s College, Oxford University

[6Ouvrage à paraître : Robert Kaddouch- L’art d’improviser, une pensée en actes. Entretiens avec Martial Solal

[7En pratique, un accord de 13e est lancé : do mi sol sib ré fa# la. Mutation : 9e bémol, ré bémol. On observe alors une superposition de l’accord do-mi-sol, sur réb-fa#-la, ou pour parler le même langage, do#-fa#-la, renversement de fa#-la-do#, accord de fa# mineur. Cet accord est imbriqué dans l’accord de do Majeur qui le contient, il est une richesse possible, probable même, et Martial l’a entendu, il va lancer un flux depuis, ou vers l’accord de fa# mineur pour créer un devenir en construction. La partie n’est pas aisée, mais l’homme a des ressources.

[8En septembre 2020, France Musique a réservé une soirée à ses concertos