Chronique

[DVD] Louis Sclavis

Louis Sclavis, l’histoire d’une création

Fabrice Radenac (réal.), avec : Louis Sclavis (cl, sax), Matthieu Metzger (sax), Maxime Delpierre (g), Olivier Lété (elb), François Merville (dms)

Label / Distribution : Artofilm

Fabrice Radenac nous avait plongés en sa compagnie dans l’intimité d’une genèse, celle de l’enregistrement d’Alerte à l’eau (2007) sous la houlette du contrebassiste Henri Texier et de son Strada Sextet. L’attention qu’il portait au processus de création de cet enregistrement fiévreux nous avait séduits : son regard sensible, empreint d’une admiration non feinte et d’un vrai plaisir de capter des instants uniques, venait souligner et sublimer le propos des artistes et nous aidait à mieux comprendre leur démarche créative.
Au moment où un autre grand de la scène hexagonale, Louis Sclavis, donnait naissance à un disque unanimement salué comme une étape majeure de son parcours, Lost On The Way, le réalisateur a planté ses caméras auprès de lui dans le même objectif : partager une certaine forme de magie, parfois indicible. Dans ce Louis Sclavis, l’histoire d’une création, la musique se dessine, on accompagne au plus près les musiciens au service d’une cause collective dont les lignes directrices sont tracées - fermement, mais dans un grand esprit d’ouverture - par le clarinettiste. On aime le voir expliquer à ses musiciens les sons tels qu’il aimerait les entendre, chantonner les phrases qui tournent dans sa tête et faire avancer le travail collectif. Un chef d’orchestre, assurément, mais dont l’autorité naturelle et attentive provoque de belles synergies complices et invente ce qui semble très cher à ses yeux : le mouvement.

Il se dit énormément de choses durant les 77 minutes du film de Fabrice Radenac ! D’emblée, Sclavis tente de nous faire comprendre ce qui l’anime profondément : chez lui, pas de système préétabli, jamais de nécessité : l’urgence vient petit à petit, au gré de ses déambulations, de ses écoutes d’autres musiques. Il lui faut trouver un moteur, obtenir un mouvement, « quelque chose qui pousse ». Quitte à se payer le luxe de journées perdues, quand on accepte le fait d’être complètement vide et de « passer du temps à rien ». Avant de revenir sur ses brouillons et de parvenir à la définition d’une première forme, d’un os à ronger.
On goûte avec délectation les scènes de répétition où les échanges fusent et les regards traduisent l’écoute mutuelle : aux côtés de Louis Sclavis, le fidèle François Merville, dont la batterie est une réduction de l’orchestre et qui reconnaît que le clarinettiste lui accorde une place formidable ; Matthieu Metzger qui, saxophoniste volubile et attachant, propose une démonstration savoureuse de ses bidouillages électroniques, « parce qu’on se renferme à être juste un instrumentiste », et dont les prototypes fonctionnent plus ou moins ; Olivier Lété dont la basse électrique transporte un groove puissant issu de son amour pour les musiques amplifiées même si, de son côté, il recherche « quelque chose de doux qui se rapproche de l’acoustique » ; Maxime Delpierre, enfin, rocker instinctif éprouvant le besoin de jouer dans « un état organique ». Chacun dresse le portrait de l’autre dans une suite de confidences elles-mêmes en mouvement (à vélo, en voiture) qui traduisent l’état d’esprit de ce qui est un groupe resserré et en quête du meilleur.

Lost On The Way est un disque de voyage, celui d’Ulysse et de l’Odyssée, et les photographies de Louis Sclavis, dont plusieurs font ici l’objet de commentaires détaillés, sont des points d’ancrage essentiels dans son processus de création. Pour lui, ce sont d’abord des images qui traduisent un mouvement (telle cette Décision où l’on voit un enfant se lever subitement du banc sur lequel il était assis dans une cour d’école baptisée... Louis Sclavis !) ou un état très particulier : avec L’heure des songes, Sclavis cherche à nous faire comprendre que le voyage commence non pas quand on se déplace mais quand on s’arrête. Il n’y a alors plus besoin de moteur, « ça tient tout seul ». C’est ce moment qu’il faut rechercher, celui qui va permettre l’improvisation.

Ce documentaire passionnant est complété par une série de séquences où l’on peut écouter le groupe en concert au Studio de l’Ermitage, du côté de Ménilmontant, belle manière de découvrir l’aboutissement du travail dont on vient de découvrir la gestation. Cerise sur le gâteau, en guise de bonus une série de duos improvisés conclus collectivement par « L’idée du dialecte » (extrait de L’imparfait des langues, précédent disque de Louis Sclavis). Quarante-deux minutes supplémentaires, en noir et blanc, qui laissent ouvertes en grand les portes de l’imagination.

Louis Sclavis, l’histoire d’une création est bien plus qu’un simple témoignage admiratif : une explication très pédagogique de la nature de la musique vivante, et de la façon dont les musiciens la sculptent jusqu’à obtenir une forme harmonieuse et partagée. Louis Sclavis, artiste accompli et toujours sur la brèche, méritait bien d’en être le professeur patient et passionné. Fabrice Radenac donne envie de s’immerger dans son œuvre singulière et en perpétuel mouvement.