Chronique

Damien Prud’homme - Tribal Jazz Project

Damien Prud’homme (sax), Cédric Hanriot (p, Fender Rhodes), Jean-Luc Déat (ctb), Christian Mariotto (bt), Marc Pujol (perc)

Après Intuitions en 2004 [1] et Reflets en 2007 [2] parus dans le cadre de son quartet (parfois augmenté), Damien Prud’homme revient avec un troisième disque [3] dont le climat général très détendu – les Anglo-Saxons pourraient le qualifier de « laid back » - où il semble parfaitement s’épanouir, lui donne l’occasion d’exprimer sa musique avec la sincérité qu’on lui connaît, sans ostentation ni grands effets d’anches, mais avec une vraie justesse de ton. Si l’on n’avait pas peur de voir ce mot détourné de son sens, positif avant tout, on évoquerait volontiers ici l’idée d’un disque agréable. Pas de fureur urgente ni d’imprécations déchirées ici, pas de stridences nées d’une quelconque brûlure ou souffrance, juste une musique débordante de bonne énergie - celle du bonheur de se retrouver entre amis et de revenir aux racines d’une musique née en Afrique.

“Tribal, parce que nous sommes une tribu brute, d’ici.
Tribal, parce que nos rythmes viennent de là-bas.
Tribal, parce que ça jaillit des tripes.
Jazz, parce qu’on y prend plaisir.
Project, parce que… c’est pas fini…”

Ainsi Damien Prud’homme tient-il à fournir lui-même les clés de ce nouvel album, concrétisation d’un travail de longue haleine entrepris avec sa bande pour tenter de parvenir à l’équilibre tant recherché entre “mélodie et tambour”.

L’Afrique, oui, celle du jazz, ici symbolisée par une combinaison sans faute de la batterie (Christian Mariotto) et des percussions (Marc Pujol), tissage rythmique de deux frappeurs élégants qui propulsent l’ensemble avec le soutien d’une contrebasse impeccable, toute en rondeurs gourmandes, celle de Jean-Luc Déat. (Chacune de ses interventions est un ravissement ; il possède une qualité rare : savoir, le temps d’un chorus, raconter une histoire qu’on suit avec jubilation.) Entouré de musiciens de cette trempe sur ce disque attachant, Prud’homme a la garantie d’un sacré soutien rythmique ! Ceux qui voudraient se convaincre de leur talent peuvent prêter une oreille au Bernica Octet de François Jeanneau, dont Mariotto et Déat sont des membres actifs, et même très incisifs ! Very Sensitive, publié cette année, en apportait déjà une belle démonstration. Enfin, à leurs côtés et aux claviers, n’oublions pas Cédric Hanriot, que les lecteurs de Citizen Jazz ont appris à mieux connaître avec le premier album de Frog’n’Stein, Electrify My Soul. Le pianiste, qui partage son temps entre la France et les Etats-Unis [4], apporte une contribution personnelle essentielle sous forme de strate tant percussive que mélodique. Lui aussi avance à l’énergie, et on sent dans son jeu tous les effets de son travail avec Danilo Perez à la Berklee Music School de Boston.

On l’aura compris, il importe d’insister sur la qualité de ce quartet. Avec de tels accompagnateurs, Prud’homme ne pouvait guère dire les choses à moitié, de se contenter d’assurer l’essentiel. Il lui fallait, sinon crier - car tel n’est pas son registre - du moins chanter et, comme un peintre, mélanger au mieux les couleurs de son saxophone pour parachever le travail.
Mission accomplie ; la trame rythmique parfaitement en place, il laisse avec une belle aisance libre cours à son lyrisme. Et il n’en manque pas ! S’appuyant essentiellement sur des compositions originales [5], il s’épanche en toute sérénité, jouant au mieux de son instrument dont le velours sait quand il le faut aussi céder la place à une rugosité fiévreuse. On est heureux de le voir s’épanouir et communiquer avec une énergie contrôlée la joie qui est la sienne. Pour cette seule raison, le plaisir, Tribal Project retient déjà l’attention. Après plusieurs écoutes, le bien-être qui s’en dégage dès les premières secondes ne fait que se confirmer.

par Denis Desassis // Publié le 7 septembre 2009

[1Label Hemolia – LH-DCD1

[2Cristal Records CRCD 0713

[3WP Records 2009-016

[4On évoque une collaboration, voire un disque avec John Patitucci.

[5A l’exception de deux emprunts au répertoire de la chanson française : « Couleur Café » de Gainsbourg et « La Chanson des vieux amants » de Brel.