Portrait

Damien Sabatier ne manque pas de souffle

Véritable passionné, il est l’un des saxophonistes les plus en vue.


Damien Sabatier © Christophe Charpenel

Depuis plus d’une vingtaine d’années, le nom de Damien Sabatier est indissociable de la scène hexagonale du jazz. Ses expériences formatrices au sein des différentes formations partagées avec son ami Gérald Chevillon, de l’Impérial Quartet à l’Impérial Orphéon en passant par le Grand Impérial Orchestra, ont permis à Damien Sabatier d’affiner son phrasé musical. Il n’hésite pas à faire le grand saut, passant allègrement du sopranino au baryton, toujours avec une grande exaltation. De nombreuses autres aventures l’amènent avec le Very Big Experimental Toubifri Orchestra, la Fanfare du Bénin de cuivres, percussions et polyphonies vaudou Olaïtan menée par son ami Cyprien Assinou Minapkon, sans oublier le groupe d’Anne Quillier, Hirsute. Rencontre avec un très enthousiaste spécialiste des anches.

Damien Sabatier © Christophe Charpenel

Cueilli au petit matin, le lendemain d’un concert mémorable qu’il a donné dans le quintet Hirsute d’Anne Quillier, Damien Sabatier engage la conversation autour d’un café noir sous une tonnelle bourguignonne.
« J’ai commencé la musique sans être un enfant du sérail mais grâce à mes parents qui ont eu la bonne idée de faire faire de la musique à leurs enfants. Puis j’ai eu la chance de grandir dans un milieu ouvert à plein de choses mais j’ai fait cela naturellement comme j’aurais pu faire du judo par ailleurs. »

Je faisais de tout, de l’orchestre, de l’harmonie, je m’intégrais dans les quatuors de saxophones. J’allais à la musique de manière populaire.

La musique ne quitte pas le jeune garçon qui arrive à ses dix-huit ans en étant confronté à un choix crucial. « Je commençais à faire des petits concerts au lycée et je me destinais à réaliser des études scientifiques, je vivais dans un milieu médical. Mais lorsqu’il y a fallu choisir à dix-huit ans, j’ai bien compris que si je m’orientais vers des études de médecine, j’allais mettre le saxophone au placard. » Damien Sabatier découvre les nombreuses facettes de l’instrument et se donne corps et âme à la musique. « J’ai continué à faire des petits concerts et obtenu mes premiers cachets. J’ai persévéré mais sans avoir une vocation de musicien. Il y a eu le conservatoire lorsque je me suis lancé, c’était bien. Je faisais de tout, de l’orchestre, de l’harmonie, je m’intégrais dans les quatuors de saxophones. J’allais à la musique de manière populaire. »

Une rencontre cruciale va marquer durablement Damien Sabatier : s’il enregistre avec le groupe Marteau Matraque et se fait remarquer par son énergie déployée au saxophone baryton, c’est avant tout Gérald Chevillon qui, comme lui, utilise une palette impressionnante de saxophones, qui devient son ami indéfectible. « Un évènement hyper important a marqué ma vie, avec mon ami d’enfance et compagnon de jeu Gérald Chevillon. On a étudié dans le même conservatoire à Valence à dix-neuf ans avec un professeur stimulant et on s’est retrouvés à Lyon toujours ensemble, étudiants. Tout s’est déroulé conjointement sans rivalité, avec beaucoup d’émulation et une frénésie de tout essayer, tous les deux. On n’avait aucune barrière, juste l’envie d’apprendre. On a joué dans la rue et on a rapidement obtenu notre premier engagement en trio. Nous continuons de jouer ensemble avec notre Compagnie Impérial et ses ramifications musicales, tous nos différents projets se sont construits côte à côte. On a tout fabriqué à deux ! »

Deux musiciens vont aussi beaucoup compter dans l’aspect formateur de Damien Sabatier. « Etienne Roche avait monté le Grotorkèstre qui rassemblait des amateurs et des professionnels dans les années quatre-vingt dix, avec autant de femmes que d’hommes. J’ai travaillé une vingtaine d’années avec lui et j’ai beaucoup appris. Laurent Dehors, je l’ai tout d’abord rencontré dans les bacs de la médiathèque de Valence quand j’avais dix-huit ans et que je n’avais aucune culture du jazz, je mangeais des CDs, je retenais tout par cœur, les pochettes, les noms des musiciens, les labels. Un disque du POM (Putain d’Orchestre Modulaire) m’a marqué, on y entendait des musiciens qui cassaient les codes, les standards du jazz ne me parlaient pas trop mais là je me suis dit, je veux faire ça. Je me suis rendu aux concerts de Laurent Dehors et j’ai fait un stage avec lui. J’ai migré à Rouen et un jour il m’a proposé de remplacer Christophe Monniot. Six mois plus tard, il a remanié Tous Dehors et m’a invité dans ce nouvel orchestre, ça a duré quinze ans. »

Damien Sabatier © Christophe Charpenel

S’il excelle tout autant à l’alto qu’au rare sopranino, Damien Sabatier est souvent demandé par des formations de jazz pour sa pratique du saxophone baryton, instrument familier des big-bands et des orchestres d’harmonie. « J’ai commencé à pratiquer le baryton en quatuor à l’adolescence et c’est parce que je jouais de ce saxophone que j’ai eu des propositions, ça m’a procuré du travail. J’étais inspiré par les musiciens français, ceux qui étaient autour de moi, Christophe Monniot et bien sûr François Corneloup. John Surman faisait partie des quelques disques de jazz qu’il y avait à la maison et j’ai découvert ensuite Gerry Mulligan qui me plaît également, mais j’étais moins attiré par le jeu viril de beaucoup de barytons issus du hard bop. J’ai découvert le swing de Harry Carney plus tard. J’aime beaucoup le baryton dans les orchestres de Charles Mingus mais aussi chez Frank Zappa qui l’utilisait brillamment dans ses groupes. J’adore les musiques transversales. »

Les projets avec ses amis de longue date ne manquent pas, outre les formations historiques qui sont réactualisées, Damien Sabatier s’investit dans une aventure partagée avec des polyphonies béninoises. « L’Impérial Quartet bénéficie d’un nouveau répertoire qui préfigure un cinquième album, on remonte l’Impérial Orphéon sans oublier le Very Big Experimental Toubifri Orchestra, cette aventure collective lyonnaise. Avec Anne Quillier, nous continuons de jouer un répertoire à l’orchestration singulière réussie. Il y a le partenariat entre la Fanfare du Bénin de cuivres, percussions et polyphonies vaudou Olaïtan, ce qui signifie la source intarissable, qui me stimule, c’est une très belle rencontre. La musique m’a fait voyager partout, ça m’a marqué. Sinon, je veux continuer de jouer en collectif, je ne me considère pas comme un leader, juste heureux d’avoir des expériences musicales qui perdurent. »