Chronique

Daniel Zimmermann

L’homme à tête de chou in Uruguay

Daniel Zimmermann (tb, arr), Pierre Durand (g), Jérôme Regard (elb), Julien Charlet (dms). Invité : Éric Truffaz (tp).

Label / Distribution : Label Bleu

C’est à se demander s’il est encore nécessaire de présenter Daniel Zimmermann, tant la carte de visite du tromboniste est synonyme à la fois de rayonnement et d’ouverture à des influences multiples. Les amoureux de la musique ont toutes chances d’avoir croisé sa route un jour ou l’autre. Pour dire sa « carrière » en quelques lignes, on évoquera le Sacre du Tympan de Fred Pallem dont il est l’un des membres, le trio DPZ fondé à la fin des années 90 avec Thomas de Pourquery ou bien encore une autre tierce, concoctée cette fois avec Vincent Peirani quelque temps plus tard. Zimmermann est l’homme des collaborations multiples, qui peuvent s’échafauder par la chanson (Lavilliers, Higelin, Aznavour et Nougaro) ou la fréquentation de grandes figures du jazz (Archie Shepp ou Wynton Marsalis). Et quand il travaille en son nom propre, il sait décocher de belles flèches, en plein dans le mille de réjouissants moments musicaux qui, tous, ont trouvé un écho mérité dans ces colonnes et sont la manifestation des talents de transformiste de son instrument fétiche. Celui-ci se voit hissé au rang de soliste au même titre que cette petite trompette si prisée par le jazz, et peut à l’occasion vous en faire voir de toutes couleurs. Ainsi furent déposés dans la corbeille Bone Machine (2013), Montagnes russes (2016) et Dichotomie’s (2019).

Daniel Zimmermann a choisi cette fois de rendre un hommage. S’il a pu penser à Claude Nougaro qu’il a accompagné dans son ultime groupe, il a finalement opté pour celui dont il dit qu’il est : « celui qui fait le plus partie de mon identité, dont je me sens le plus proche, dans la démarche et notamment la démarche de compositeur, celui qui fut un choc pour moi, un de ceux qu’on n’oublie jamais », Serge Gainsbourg. Et pour trouver les couleurs propices, il a convoqué les musiciens de ses Montagnes russes, ce qui peut sembler logique dans la mesure où, d’une certaine manière, Serge Gainsbourg est une sorte de montagne, d’origine russe de surcroît. CQFD. Entrent donc en scène Pierre Durand (guitare), Jérôme Regard (basse), Julien Charlet (batterie) auxquels vient s’ajouter un invité, et pas des moindres, le souffle de la trompette d’un certain Erik Truffaz.

Voilà ce qui sous-tend L’Homme à tête de chou in Uruguay. Une belle équipe, un répertoire amoureusement choisi pour sa richesse mélodique aussi bien que rythmique, en grande partie puisé dans les fastes années 60, au temps des albums L’étonnant Serge Gainsbourg (n° 3), Gainsbourg Percussions, Gainsbourg Confidentiel, Initials B.B. ou Bonnie And Clyde. Les années 70 ne sont toutefois pas oubliées, avec l’emblématique Histoire de Melody Nelson et le plus sulfureux Rock Around The Bunker. Gainsbourg oui, Gainsbarre non. On n’oubliera pas de préciser que le titre du disque est construit sur celui d’un album (L’Homme à tête de chou) et d’une chanson (« S.S. In Uruguay »). Secouez, mélangez et dégustez !

Car il est bien vrai que cette musique se déguste : sa capacité à respecter les thèmes originaux (tous très facilement identifiables) va de pair avec une appropriation heureuse et dopée à l’énergie d’un quartet augmenté qui s’en donne à corps joie, élaborant une matière qui est résolument celle d’un jazz contemporain, volontiers branché sur l’électricité de la paire guitare-basse. Les interventions solistes de Daniel Zimermann sont de véritables gourmandises – virtuoses bien sûr mais toujours porteuses d’un chant aux couleurs changeantes – qui prennent appui sur un trio au sein duquel la guitare de Pierre Durand flirte volontiers avec le rock. Et lorsque le tromboniste croise le cuivre avec Erik Truffaz (ainsi sur « Bonnie And Clyde »), on savoure le dialogue avec beaucoup de jubilation, jusqu’aux moments de plus grande lascivité élégiaque (« La Noyée »).

Hommage, gourmandise, plaisir du groove et du collectif, énergie. Voilà de quoi il retourne avec cet Homme à tête de chou In Uruguay, dont on ne peut que conseiller la fréquentation assidue.